• Petite critique syntaxique des Oralbums

    "Et là, le prince, il l'a embrassée, la princesse !"

     

    Savez-vous que circulent dans les écoles maternelles des Oralbums, c'est-à-dire des albums qui reprennent les histoires traditionnelles (Le Petit chaperon rouge, Pierre et le Loup...) en adaptant la manière de raconter à l'âge des élèves. Rien que de très normal, a priori. C'est le principe même de l'album de jeunesse, depuis au moins les Albums du Père Castor.

    Sauf qu'il s'agit de reformuler ces histoires en tenant compte du niveau syntaxique de l'auditoire. Chaque phrase est ainsi passée à la moulinette et réécrite à coups de présentatifs ("C'est...", "Il y a..."), d'élision du "ne" négatif, de détachement à gauche du thème de la proposition ("Le loup, il a mangé...").

    L'objectif est de faire travailler aux élèves la "syntaxe de l'oral", dont l'acquisition est censée permettre une meilleur expression orale (ce qui est souhaitable) et une acquisition ultérieure de la syntaxe "académique" (c'est comme cela que la désigne M. Boisseau, créateur des Oralbums).

    En voici une page, scannée par les bons soins de Spinoza 1670, blogueur et archiviste infatigable, pour le blog litteratureprimaire.eklablog.com.

     

    PS
    Ainsi, pour les élèves de petite section (PS), le maître lit :

    Voilà Pierre.

    Il habite avec sa grand-mère et son grand-père.

    Et il a trois amis : un petit oiseau, un canard et un chat.

    Étrangement, on trouve dans ce petit texte des tournures absentes du langage enfantin :

    - "Voilà" + nom.

    Aujourd’hui, cette tournure est utilisée uniquement par des adultes, pour indiquer à son interlocuteur que quelqu'un arrive. Ex : "Tiens, voilà Machin." Un enfant dirait plutôt, observant l'illustration de l'album : "Ça, c'est Pierre."

    - "Et" en début de phrase après une pause.

    Le "et" en début de proposition est très fréquent, mais dans des phrases à rallonge, comme quand il s'agit de raconter une suite d'événements. Ex : "Il a sorti son épée. Et il a tapé le monstre. Et le monstre, il est tombé..."

    - une liste explicitant un nom générique auquel elle est apposée.

    On attendrait que cette liste soit introduite par la reprise de "Il a". L'apposition suppose une grande maîtrise de la progression thématique.


    MS

    Voici maintenant le texte prévu pour les élèves de moyenne section :

    Voilà Pierre qui habite à la campagne avec ses grands-parents.

    Et il a trois amis, Pierre.

    Ses amis, c'est un moineau qu’il a soigné quand il était blessé.

    C'est aussi un canard.

    Et puis un chat qui fait souvent l'acrobate dans les arbres.

     

    On note encore de nombreuses étrangetés syntaxiques :

     

    "Voilà Pierre qui habite à la campagne avec ses grands-parents."

    - Toujours la tournure "Voilà" + nom, suivie cette fois par une proposition subordonnée relative.

    Le sens est très différent de ce qui est censé être dit dans la première phrase (Voilà Pierre, puis, après une pause, Pierre habite à la campagne...). On a fusionné les deux propositions grâce au pronom relatif qui, sans prendre en compte que l'expression ainsi obtenue indique l'énoncé d'une action contemporaine du moment de l'énonciation (Voilà Pierre qui est en train d'habiter à la campagne), expression qui ne veut rien dire.

     

    "Et il a trois amis, Pierre."

    - Le détachement à droite du nom "Pierre", précisant le pronom "il", sujet du verbe "avoir".

    Ce détachement est effectivement la règle dans le langage oral, à plus forte raison dans le langage enfantin. Mais pas quand le thème de la proposition (ce à propos de quoi on parle) est évident. Autant on peut détacher à droite le nom qui correspond au pronom COD ("Je les ai donnés à Simone, les gouttes."), mais pas celui qui explicite un pronom sujet ("il") qui n'est en aucun cas ambigu dans ce contexte, puisque Pierre est le sujet de la proposition précédente. 

    Telle quelle, l'insistance sur le nom "Pierre" semble exprimer le caractère inattendu de l'affirmation selon laquelle Pierre a trois amis, comme dans la phrase : "Il a perdu son titre, Usain Bolt. Je te jure !"

     

    "Ses amis, c'est un moineau qu’il a soigné quand il était blessé."

    - Une progression à thème linéaire.

    Le rhème (ce qu'on dit d'un thème) de la deuxième proposition (les trois "amis") devient le thème de la troisième. On aurait plutôt attendu une phrase qui explicite directement le terme "amis" : "Il a un moineau", ou tout du moins une expression maladroite qui reparte du pronom "il".

    - Deux propositions subordonnées emboîtées (la relative avec "que" et la conjonctive avec "quand").

     

    "C'est aussi un canard."

    - La correspondance entre le thème pluriel "amis" et le rhème singulier "moineau".

    Sans doute est-ce dû à la volonté de l'auteur de ne pas faire une phrase énumérative, forcément plus longue.

    Le problème est que la couper en trois partie rend la phrase incorrecte et potentiellement porteuse d'ambiguïtés. Je n'imagine pas que certains élèves ne tiquent pas en l'entendant : "Il en a trois ou un, des amis ?"

    - L'utilisation de l'adverbe "aussi" après le présentatif "c'est'.

    Il a fallu lever l'ambiguïté du présentatif "c'est", qui aurait pu ne pas renvoyer au terme générique "amis", qu'il s'agit d'expliciter depuis deux propositions.

    Il est ironique que le résultat soit éminemment "écrit". L'expression "c'est aussi" est exclusivement employée dans des énoncés complexes consistant à passer en revue un à un les éléments d'un sujet de discussion. Ex : "La féodalité, c'est une hiérarchie sociale, mais c'est aussi un système de valeurs."

     

    "Et puis un chat qui fait souvent l'acrobate dans les arbres."

    - Une phrase nominale introduite par l'expression familière "et puis", mais qui achève une longue succession de trois propositions enchaînées.



    Inutile de continuer plus loin. On le voit, dans cette page d'Oralbum, l'auteur a voulu mettre en œuvre son cahier des charges : des présentatifs, la répétition des noms sujets par un pronom, de la parataxe (succession de propositions sans conjonctions ni adverbes pour les relier entre elles) en PS, à quoi s'ajoutent en MS une complexification syntaxique et l'usage des connecteurs logiques.

    Seulement, ce canevas sommaire aboutit à un résultat hybride, souvent incohérent, mélange baroque de tournures familières et d'expressions très soutenues. Il est douteux qu'une telle fatrasie aide les élèves à structurer une quelconque syntaxe que ce soit, ni la syntaxe orale, régulièrement chamboulée, ni la syntaxe écrite.

    Le but était pourtant de faire transmettre cette syntaxe orale. Les principes de rédaction des Oralbums étaient constitués à partir de relevés statistiques des caractéristiques de la syntaxe enfantine. Mais l'analyse statistique semble ne pas fournir de bases solides pour une synthèse ultérieure, si l'on considère les résultats obtenus.

     

    Quelles sont les raisons de cet échec ?

    1 – L'ambiguïté référentielle.

    Il s'agit pour les élèves confrontés aux Oralbums de commenter un illustration. Mais il s'agit aussi de raconter une suite d'événements. Or, les deux sont difficilement compatibles. Comme l'a montré abcdefgh sur son blog, la syntaxe écrite suppose la construction progressive d'un univers mental qui devient la véritable référence. Jongler entre le récit et la description d'une illustration suppose une grande habileté.

    2 – L'absence de situation dialogique.

    Comme la montré abcdefgh, encore elle, les phénomènes de reprise pronominale et de détachement se justifient à l'oral par la nécessité de lever des ambiguïtés dues à la situation de dialogue.

    Or, le récit de l'Oralbums, qui est aussi une description d'image, gomme systématiquement le dialogue qui justifierait sa syntaxe.

    Il aurait été plus logique d'écrire à l'avance les interactions des élèves et du maître.

    Ex : "Vous voyez ce petit garçon ? Eh bien, c'est Pierre. Il habite avec qui, ce petite garçon ? Il habite avec sa grand-mère et son grand-père. Mais il a aussi des amis. C'est qui, ces amis ? Un petit oiseau, un canard, et puis un chat."

    Ce serait plus logique, donc, mais aussi inutile, puisqu'il est impossible de régler une conversation à l'avance, surtout avec de jeunes élèves.

    3 – La perméabilité entre syntaxes écrite et orale, familière et soutenue.

    On l'a vu, l'utilisation systématique des composantes syntaxiques du langage oral de l'enfant aboutit souvent à des expressions orales de l'adulte ou bien à des propositions sophistiquées, caractéristiques de la syntaxe écrite. Cette perméabilité déclenche en retour une série d'ajustements successifs ( la séquence découpage de la proposition / usage de connecteurs est typique) qui créent de véritables chimères syntaxiques et énonciatives.

    ***

    Si cet échantillon est représentatif de l'ensemble des Oralbums, il faut donc conclure que la tentative d'adaptation d'un contenu narratif à la syntaxe enfantine se heurte à une série d'obstacles qui découle du caractère contradictoire de ce projet.

    Si l'on veut travailler la syntaxe, il convient donc de séparer les registres, les genres, les objectifs. Peuvent ainsi se succéder, dans l'ordre qu'on veut, la lecture d'un récit respectant les canons syntaxiques du conte (pourquoi pas, soyons fous, le conte original !), une série de reformulations orales résumant son contenu, et une série de remarques sur l'illustration accompagnant le récit. Je renvoie aux remarques éclairantes de Catherine Huby sur son blog.

    Bref, les Oralbums, c'est le mariage de la carpe et du lapin, un artefact pédagogique assez mal fichu et très laid, un outil dont on ne comprend pas qu'on nous dise qu'il obtient des résultats auprès des élèves, même en difficulté. Je ne parle même pas des principes qui justifient théoriquement l'existence d'un tel outil : le caractère inachevé et tarabiscoté de leur application me convainc suffisamment soit de leur fausseté, soit de leur insuffisance. 


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  • La théorie du genre (grammatical)

    Nous vivons en des temps troublés. De sinistres censeurs s'insurgent contre de médiocres publications pour la jeunesse. Le très légitime souci de ne pas enfermer les enfants dans des stéréotypes féminins ou masculins devient une injonction à les sensibiliser à la notion de genre (en lieu et place d'autres enseignements). Cette injonction fait l'objet d'applications autant zélées que maladroites, mais aussi d'imprécations exagérées qui n'ont que peu de rapport à la réalité. 

    Il est donc temps de rappeler qu'il y a bien longtemps, le genre était enseigné à l'école, et que c'est la grammaire, résidu des méthodes rébarbatives d'autrefois, qui en avait jusque-là le monopole. 

    Souvenons-nous de ces leçons sur le genre du nom et sur l'accord "en genre et en nombre" de l'adjectif qualificatif, puis sur l'accord des participes passés. 

     

    1/ Féminité à sens unique 

    Mais aujourd'hui, il convient de voir qu'il y a un "trouble dans le genre". La notion est pourtant assimilée par les élèves, qui savent pour la plupart (mais pas tous) que lorsqu'on demande le genre du nom, il s'agit de dire s'il est masculin ou féminin. 

    En revanche, on se demande comment il se fait que, même en troisième, la plupart croit encore que seule la lettre E indique qu'un nom ou qu'un adjectif est féminin. Où sont passées les leçons sur les féminins des noms, qui, tout compte fait, ne prennent que rarement un E au féminin ? Où sont les "doctoresses", les "inspectrices", les "juments" et les "génisses" ? Où sont la "fourmi", la "perdrix", la "brebis" qui s'enfoncent dans la "nuit" (par ordre de taille) ? 

     

    2/ La tyrannie du "e" final

    La majorité de mes élèves pensent qu'un nom finissant par -TÉ  doit prendre un E. C'est ainsi que l'on trouve en dictée (là, c'est normal) : "la beautée", "la quantitée", etc. Il suffit pourtant d'apprendre par cœur la sempiternelle liste  des exceptions : "la dictée, la jetée, la montée, la pâtée, la portée".

    Personnellement, je raffine en indiquant que, mis à part les noms indiquant une contenance (les fameuses "fourchetée", "assiettée", "brouettée", ainsi que la "nuitée"), les noms en -TÉE sont tous des verbes au participes passés transformés en noms. Ainsi, la "dictée" est ce qui est dicté, la note est portée sur la "portée", la "jetée" jetée dans la mer, la "montée" montée. Reste la "pâtée", qui n'est qu'un "pâté" féminisé. 

    Cela donne une règle assez simple : si le nom en TÉ vient du verbe homophone, on met un E. Ainsi, les verbes "liberter", "fraterniter", et "égaliter" n'existent pas : pas de E !

     

    3/ Le féminin perdu dans le nombre

    Mais le genre connaît d'autres vicissitudes. Ainsi, un grand nombre d'élèves, lorsqu'il faut accorder un adjectif ou un verbe au participe passé, omettent systématiquement de mettre un E si le nom auquel ils se rapportent est pluriel. 

    Ainsi, dans "Les deux mamans se sont mariées", l'élève qui comprendra que ce sont les "mamans" qui sont mariées, et qu'il faut donc accorder le participe au sujet, a une chance sur deux pour se tromper et écrire "mariéS". Tout se passe comme si le nombre avait la priorité sur le genre. Du moment qu'il y en a plusieurs, peu importe qu'il y ait des filles : tous en pantalons, pas de E ! La règle de l'accord du verbe avec le sujet masculin, même s'il y a d'autres sujets féminins, va donc se nicher partout.

     

    4/ Le féminin passe-partout

    Autre constat : l'orthographe du verbe au participe passé est une terra incognita pour les élèves actuels. La vue d'un I ou d'un U, resté tout seul à la fin du mot, jette les élèves dans un grand trouble. "Paru", "perdu", "fini" deviennent donc, sans qu'un accord avec un mot féminin le justifie, "paruE", "perduE" ou "finiE". 

    Le I et le U tout nus sont presque obscènes. Couvrez cette voyelle que je ne saurais voir ! Le E rend le mot plus élégant, plus décent. Il rassure et remet chaque chose à sa place. 

     

    Je plaide donc pour la réintroduction rapide de la théorie du genre dans les manuels de grammaire de cours élémentaire (s'il en existe encore). Pour que la notion de genre ne reste pas purement "théorique" !

     


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  • Dans ma défense de l'analyse grammaticale, je parlais d'une méthode permettant de trouver la fonction d'un mot à partir de sa nature : 

    Pour tout dire, il existe un deuxième type de raisonnement qui permet de réussir une analyse grammaticale. Il s'agit non pas de partir du "rapport" fonctionnels des mots entre eux, donc de voir comment les mots "fonctionnent", mais de reconnaître d'abord la nature du mot, de passer en revue ses différentes fonctions possibles.
    Il faut savoir qu'un nom, un pronom, un verbe à l'infinitif sont en règle générale soit sujet d'un verbe, soit complément d'un mot, et de choisir, dans un deuxième temps cette fois, le bon mot auquel il se rapporte.

    Cette méthode est complémentaire de la première puisqu'elle permet de restreindre le nombre de fonctions possibles. Un adjectif qualificatif, reconnu comme tel, ne sera qu'épithète, apposé ou attribut. Elle n'est pas, malgré les apparences, purement mécanique, même si elle nécessite de mémoriser les correspondances entre chaque nature et un éventail de fonctions possibles. Le sens global de la proposition reste le critère de décision en dernier ressort.

    Cette méthode est bien pratique puisqu'elle permet aux élèves de ne pas associer une fonction à une nature qui ne peut en aucun cas avoir cette fonction.

    Par exemple, il n'est pas rare de trouver dans les copies d'élèves des COD du nom, des pronoms épithètes, ou des compléments du sujet.

     

    Pour faciliter ce raisonnement, j'ai conçu des schémas aide-mémoire qui permettent de visualiser immédiatement les possibilités fonctionnelles d'une nature donnée. 

       

          

    On remarquera que la nature est visuellement distinguée des fonctions. Si l'on dispose ces schémas en colonne, l'élève sait tout de suite qu'il faut chercher la nature dans la colonne centrale. La recherche de la fonction découle logiquement de l'identification préalable de la nature du mot. En passant, les élèves sont souvent soulagés de constater que la plupart des natures de mots ne peuvent avoir qu'une seule fonction. 

    La colonne de gauche résume le cours par une phrase qui met en évidence la signification de chaque nature de mot. Cet aspect de la grammaire est très souvent passé sous silence, au profit de la distinction entre nature et fonction. On privilégie trop souvent, dans les phases d'analyse, les liens entre les mots, au détriment du lien de chaque mot avec les choses (à la fois le signifié abstrait et la référence au réel). Les bulles de pensée servent donc à identifier la nature. Un mot qui désigne quelque chose sans le nommer est un pronom. (Essayez, en prononçant qui, le, ou certains. Vous vous rendrez compte que vous parlez bien de quelque chose, que vous pouvez visualiser ou concevoir dans votre esprit.)

    Le schéma simplifie donc grandement le raisonnement. Il réduit l'éventail des fonctions possible à quelques unes. J'en autorise l'usage lors des exercices d'analyse grammaticale, afin de laisser plus de place au raisonnement qu'à la mémoire. Dans l'idéal, les élèves n'en ont plus besoin au bout d'un moment, à force de s'en servir. À force de l'entendre, les élèves sont familiers de la litanie énumérant les fonctions du nom : "Le nom est soit sujet, soit complément (et parfois, attribut du sujet)". Ils sont ravis de se rendre compte qu'il n'y a pas trente-six possibilités, et qu'une fois éliminée la fonction sujet (assez facile à reconnaître), il ne reste plus qu'à trouver quel mot est complété, et, s'il s'agit d'un verbe, de quel type de complément du verbe il s'agit (dans l'ordre : COD ou I, complément d'attribution, complément d'agent, complément circonstanciel).

     

    Autre point à noter : l'usage des couleurs. Le bleu désigne les natures qui ont des fonctions "nominales", c'est-à-dire le nom et le pronom. Le vert désigne toutes les natures qui n'ont qu'une seule fonction. Le rouge désigne les adjectifs qualificatifs et leurs fonctions propres. D'ailleurs, la flèche rouge qui indique la fonction attribut du sujet dans le schéma sur le nom indique que cette fonction est en quelque sorte un emprunt au paradigme fonctionnel des adjectifs. Dans les plus grandes classes, je rajoute de même la fonction "apposé à un mot".

     

    Enfin, j'insiste sur la formulation des fonctions, qui détonne par rapport aux formules toutes faites, et débitées de manière automatique par les élèves (les fameux "attribut DU sujet", "complément DU NOM", etc.)  Le choix de l'article indéfini (attribut d'un sujet, sujet d'un verbe...) est fait pour suggérer qu'il reste à chercher à quel mot précis de la proposition se rapporte le mot analysé. 

     

     

     


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    L'analyse grammaticale, exercice des ânes ?

    L'exercice traditionnel de "l'analyse grammaticale" est peu pratiqué en classe de français. On constate çà et là quelques résurgences, mais la majorité des élèves français n'a pas l'habitude de déterminer la nature et la fonction de chacun des mots d'une proposition.

    Je ne reviendrai pas ici sur l'intérêt de cet exercice pour la consolidation des connaissances grammaticales, pour la perception de leur utilité descriptive, ni pour l'éducation du raisonnement.

    Je voudrais simplement répondre à la critique majeure qui a conduit à l'abandon de cet exercice.

     

    I – Histoire d'un abandon

    Pour aller vite, cet abandon s'est fait en deux temps :

    1) Dans les années 70, ce que certains appellent la "troisième grammaire scolaire", c'est-à-dire la bonne vieille grammaire traditionnelle de l'Instruction publique, a été supplantée par la "quatrième grammaire scolaire", à savoir une grammaire issue de la grammaire structurale des années 50-60.1

    La notion de "groupe de mots" (groupes nominal, verbal, puis prépositionnel) et l'analyse fonctionnelle (sujet, complément, attribut) ont mis l'analyse mot-à-mot au second plan. Concrètement, on ne demande plus de s'appesantir sur chaque mot, mais de saisir dans sa globalité les éléments logiques qui composent la proposition. L'analyse des articles et des adjectifs déterminatifs (devenus des "déterminants") est laissée de côté. Ces analyses moins minutieuses aboutissaient, dans les premiers temps de l'introduction de la grammaire structurale, à la confection de schémas arborescents du plus bel effet.

     

    L'abandon de l'analyse grammaticale se justifiait en effet par une vision "modulaire" de la syntaxe. Chaque proposition était une structure où s'emboîtaient des groupes de mots inclus les uns dans les autres, étagés sur plusieurs niveaux. La linéarité de la proposition fut donc écartée au profit d'une perception en quelque sorte simultanée de toutes ses composantes, hiérarchisées selon un mode de représentation spatial, et non plus temporel.

    2) Mais ce qu'on sait moins, c'est que cette révolution terminologique et méthodique fut précédée, et certainement préparée, par des critiques formulées au cœur même de la période où l'exercice de l'analyse grammaticale régnait en maître.

    Dès la fin du XIXe siècle, les linguistes et grammairiens ont voulu combiner l'analyse "logique" de la phrase et de la proposition et l'analyse "grammaticale" (ou "catégorielle") des mots qui les composent.

    L'analyse logique, qu'on connaît encore aujourd'hui à l'échelle de la phrase, était valable aussi pour la proposition. On cherchait directement les grands éléments logiques de la proposition (sujet, attribut, complément). Plusieurs grilles d'analyse se sont concurrencées, mais leur point commun était de ne pas partir du mot, mais de prendre la proposition de manière globale, pour l'analyser syntaxiquement selon son sens. On "descendait" donc du plan de la proposition au plan des "acteurs" sémantiques de cette proposition.

    Quant à l'analyse grammaticale, elle se contentait de déterminer la nature des mots, de manière un peu myope. Cette analyse des mots était le préalable à une synthèse "ascendante" de la proposition à partir des mots qui la composent .

    L'introduction de la notion de "groupe", qui précède donc de plusieurs décennies la grammaire structurale, fut une des manières de faire descendre encore plus profondément cette démarche analytique descendante, puisque le "groupe" sujet, le groupe "complément "ou "attribut" étaient eux-mêmes composés de groupes.

     

    II – Un exercice critiqué très tôt pour son caractère mécanique

    Bref, on constate, de part et d'autre de la rupture fondamentale que fut l'apparition de la grammaire structurale, une volonté commune de rendre l'étude des propositions "logique "(id est sémantique), analytique et descendante.

    Le corollaire de cette proposition pédagogique fut la critique de l'artificialité de l'analyse grammaticale traditionnelle. En effet, on n'a cessé de remarquer le caractère mécanique de l'analyse mot-à-mot, ainsi que son caractère peu intuitif.

    En 1951, une publication du CNDP intitulée La Grammaire à l’école primaire 2 infléchit le discours sur l’analyse grammaticale : 

    Quel but, en définitive, doit-on chercher à atteindre par l'enseignement grammatical, sinon, pour bien saisir les idées et les rapports des idées, celui d'amener progressivement les élèves à l'analyse de la proposition et de la phrase ?... Entendons-nous bien. Quand nous parlons d'analyse, nous n'envisageons pas seulement l'exercice, indispensable comme moyen d'acquisition et de contrôle, mais sans grande valeur de culture, qui consiste, par un déclenchement quasi-automatique, à faire débiter ou transcrire, en face de chaque mot isolé, la liste des termes grammaticaux qui en marquent la nature, le nombre, le genre, la fonction. Ce que nous recherchons, c'est, dans la proposition, la reconnaissance, autour des mots clefs (verbe, sujet, compléments), des groupes de mots qui grammaticalement et sémantiquement en sont inséparables, et, dans la phrase, la découverte du rapport des propositions entre elles.

    L'élève qui concentre son attention sur chaque mot, qui plus est dans l'ordre dans lequel ils ont été prononcé, ne pouvait que passer à côté du sens global de la proposition, de sa "structure" profonde. Il ne serait demandé, dans cet exercice, que d'appliquer des définitions apprises par cœur. Le raisonnement ne serait pas sollicité, et la grammaire achèverait ainsi de s'éloigner de l'éducation de l'expression orale ou écrite.

     

    III – Un exercice impossible à réussir mécaniquement

    Cette critique me paraît injustifiée. En effet, je pense impossible de parvenir à analyser les mots d'une proposition, en donnant leur nature et leur fonction, de manière purement mécanique.

    Qu'il y ait des leçons à apprendre et à appliquer, c'est certain. Et pourquoi non ? La grammaire n'est pas une science purement intuitive, dont le rythme d'acquisition se calquerait sur le rythme de développement de l'enfant et de ses capacités langagières. On n'apprend pas à analyser la langue comme on apprend à parler.

    Mais il n'est pas non plus possible de le faire sans passer par une compréhension globale de la proposition à analyser et de son sens.

    En effet, comment dire d'un nom qu'il a pour fonction d'être sujet d'un verbe, si l'on n'est pas allé vérifier ailleurs dans la proposition la présence d'un verbe conjugué, la personne à laquelle il a été conjugué, mais aussi sa signification. Dans "Le petit chat est mort", on ne peut dire que le nom "chat" est sujet du verbe "être" que si l'on a repéré ce verbe dans la suite de la proposition. Il n'est donc pas possible de ne pas prendre en compte la globalité de la proposition, sa syntaxe, les marques flexionnelles des mots variables, son sens, si l'on veut déterminer la fonction du moindre mot.

    On a beaucoup reproché à l'analyse grammaticale de sacrifier le sens des propositions à cause de sa démarche ascendante. Or, pour pouvoir la faire, il faut sans cesse alterner une analyse descendante, qui décèle intuitivement les termes logiques de la proposition, et une séquence tâtonnante d'essais de synthèse, consistant à prendre le mot étudié et à l'associer à d'autres mots.

    Il est en effet nécessaire de "rapporter" chaque mot à un autre mot. Pour ce faire, il suffit souvent de le rapprocher successivement, lui et les quelques mots qui s'y rapportent déjà, des autres mots de la proposition.

    Prenons l'exemple qui a donné lieu à la belle arborescence citée ci-dessus :

    La troupe de danse réserve le gymnase tous les midis.

    - La se rapporte évidemment à troupe. On parle bien de la troupe.

    - Troupe ne se rapporte pas à danse. On ne parle pas de de danse la troupe. Certes, danse et troupe sont en rapport, mais pas dans cet ordre-là. En revanche, la troupe réserve signifie bien quelque chose, et quelque chose qui correspond au sens de la proposition. 

    - De se rapporte à danse (la troupe de danse)

    - Danse se rapporte à troupe et nom à réserve. La danse ne réserve rien, mais il s'agit bien d'une troupe de danse

    - Etc. 

    Ainsi, ces expérimentations tâtonnantes permettent de voir se former dans chaque proposition des couples de mots dont l'un "se rapporte" à l'autre. Et le sens global de la proposition est à chaque fois le critère auquel on fait appel pour déterminer la validité sémantique des associations ainsi obtenues.

    Il reste à préciser ces "rapports" en nommant la fonction du mot. Celle-ci n'est donc qu'une précision d'un "fonctionnement" plus indéfini des mots entre eux. Ce faisant, la nature du mot sera trouvée, avant, pendant ou après la découverte de la fonction précise du mot.

    Pour ce faire, deux moyens s'offrent à l'élève. Tout d'abord l'application des leçons apprises de manière explicites. Ensuite, la réflexion sur la signification du mot, c'est-à-dire à la fois son sémantisme et sa référence.

    - "La" fait partie de la liste des articles définis (le la les) apprise par coeur. Puisqu'il se rapporte à un nom, ce n'est pas un pronom personnel. En outre, il montre que la "troupe" dont on parle est bien définie dans l'esprit du locuteur : on la connaît déjà avant de dire qu'elle a réservé le gymnase.

    - "Troupe" désigne quelque chose en le nommant. Quand je dis ce mot, je vois une troupe dans ma tête. C'est donc un nom. (Remarquons que le fait que le mot soit précédé de "la" n'est pas un critère suffisant : si c'était un pronom, le mot qui suivrait ne serait pas un nom, mais plus probablement un verbe, comme dans "la voir").

    - "De" est une préposition, puisqu'elle introduit le nom "danse", et que de toute façon, "de" est toujours une préposition. 

    - Etc.

     

    Pour tout dire, il existe un deuxième type de raisonnement qui permet de réussir une analyse grammaticale. Il s'agit non pas de partir du "rapport" fonctionnels des mots entre eux, donc de voir comment les mots "fonctionnent", mais de reconnaître d'abord la nature du mot, de passer en revue ses différentes fonctions possibles.

    Il faut savoir qu'un nom, un pronom, un verbe à l'infinitif sont en règle générale soit sujet d'un verbe, soit complément d'un mot, et de choisir, dans un deuxième temps cette fois, le bon mot auquel il se rapporte.

    Cette méthode est complémentaire de la première puisqu'elle permet de restreindre le nombre de fonctions possibles. Un adjectif qualificatif, reconnu comme tel, ne sera qu'épithète, apposé ou attribut. Elle n'est pas, malgré les apparences, purement mécanique, même si elle nécessite de mémoriser les correspondances entre chaque nature et un éventail de fonctions possibles. Le sens global de la proposition reste le critère de décision en dernier ressort.

     

    IV – Les apories d'une analyse purement mécanique

    Que donnerait une analyse grammaticale menée de manière mécanique ?

    Qu'en serait-il tout d'abord de la reconnaissance de la nature des mots ? On peut imaginer reconnaître un nom, un adjectif, un adverbe, au premier coup d’œil, d'après leur morphologie, leur flexion et, plus hypothétiquement, leur position dans la phrase. Mais l'élève qui agirait ainsi se ferait piéger par la première inversion du sujet venue. Il ne saurait pas quoi faire non plus au moment de choisir si le mot qui suit un article est un nom ou bien un adjectif antéposé. Ne parlons pas des adjectifs substantivés, comme « le jeune » ou « le jaune ».

    C'est que pour décider de la nature d'un mot, il faut très souvent se poser deux questions : celle de son "fonctionnement" (le "rapport" avec un autre mot) et celle de sa signification. Le mot "jeune", dans "un jeune homme", se rapporte à un homme ("homme jeune") et non à "le" ("le jeune"). Il désigne une qualité (celle de la jeunesse) et non quelque chose de bien délimité (un jeune).

    Qu'en est-il désormais de la détermination de la fonction du mot ? Les critères de reconnaissances non sémantiques du sujet sont douteux : ni l'accord, ni la place dans la proposition ne permettent reconnaître de déterminer ce qui est sujet du verbe. Il suffit qu'il y ait plusieurs noms accordés de la même manière, que le sujet soit séparé du verbe, ou bien placé à la suite, pour que le choix devienne impossible à faire. De même, si le sujet n'est pas un nom, mais un pronom relatif ou interrogatif, ou bien un verbe à l'infinitif ou une proposition, aucun indice ne permet de le rattacher au verbe. Encore une fois, c'est le sens de la proposition qui permet de décider. Il en va de même pour la recherche du complément d'objet du verbe : sans une notion bien enracinée de ce qu'est une action et de son objet, on est contraint de chercher le premier nom qui suit le verbe.

    Nous venons donc de montrer qu'il est impossible de faire une analyse grammaticale de manière mécanique. L'analyse catégorielle est toujours aussi une analyse logique. En fait, les critiques de l'analyse grammaticale ont simplement confondu le résultat de l'étude de la proposition, qui consiste effectivement en une succession de remarques ponctuelles mot-à-mot, et le processus qui y a abouti, qui est à la fois logique et syntaxique.


    V - Quelle grammaire pour réussir un tel exercice ? 

    On l'a vu, cet exercice suppose une grammaire qui ne soit pas "modulaire", comme la grammaire structurale, mais "relationnelle". Les mots ne sont pas inclus dans des groupes emboîtés les uns dans les autres. Ils gardent leur autonomie et forment à l'intérieur de la proposition une suite de couples en "rapport". La proposition est cette suite linéaire de mots qui établissent les rapports qui les unissent au fur et à mesure de leur propre succession. La cohérence de la proposition est donc assurée sans recourir à une représentation mentale ou graphique spatialisée, de type arborescent. 

    L'analyse de la phrase ne consiste donc plus à mettre de côté sa temporalité linéaire, mais au contraire à respecter cette linéarité, en ralentissant la vitesse de lecture pour se demander, à chaque étape, comment une succession syntaxique constitue le sens d'un énoncé. 

    Cette grammaire est donc à la fois, et indissociablement, syntaxique et sémantique. L'élève est convié à lire une phrase simple en pensant de manière réflexive à ce qui se passe dans son esprit au moment où il prononce chaque mot, et au moment où il passe au mot suivant. 

    ***

    Réflexive, syntaxique et sémantique, linéaire, la grammaire "traditionnelle" ainsi mise en oeuvre est le contraire d'une science des ânes. L'exercice de l'analyse grammaticale a pu donner lieu à des dérives mécanistes. Mais cela ne tenait pas à la nature de l'exercice lui-même. Fait mécaniquement, il ne pouvait pas être réussi. Les meilleurs élèves de l'école primaire d'avant les années 70 ne pouvaient pratiquer cet exercice que de manière intelligente et vivante. 

    La connaissance du cours et des leçons permet bien sûr de prendre des raccourcis. L'analyse grammaticale n'était pas décrite dans les termes avec lesquels je viens de la décrire. Ceux-ci tiennent beaucoup de ma propre manière de présenter les choses aux élèves. Très probablement, on n'expliquait pas outre mesure comment raisonner lors d'une analyse grammaticale. Mais on ne pouvait pas en fin de compte réussir cette analyse sans passer peu ou prou, dans cet ordre ou dans un autre, par ces étapes-là.

    Il faudrait donc voir avec un autre oeil la "quatrième grammaire scolaire", issue de la linguistique moderne, qui prétendait se rapprocher du véritable fonctionnement de la langue. Elle a fait fonds sur une critique erronée de l'analyse grammaticale. Les pédagogues de l'époque précédente ont été leurrés par des applications apparemment mécaniques de l'exercice, sans s'apercevoir qu'une telle application était tout simplement impossible. Les rénovateurs ultérieurs ont eu beau jeu de pointer cette supposée faiblesse et de proposer une nouvelle manière de voir et de faire, prétendument plus logique et plus intuitive. 

     

    1http://correspo.ccdmd.qc.ca/Corr15-4/Grammaire.html

    2La Grammaire à l’école primaire, CNDP, 1951 http://michel.delord.free.fr/pedago/grammaire-inrp1951.pdf


    3 commentaires
  •  Ernest Lavisse

        Cet article (un peu long, j'en conviens) a pour but de juger objectivement une tradition pédagogique aujourd'hui décriée. Je ne cherche pas à dire que tout était bon dans la pédagogie de l'histoire d'autrefois, mais qu'il y a du bon à prendre pour rendre plus efficace l'enseignement historique actuel, dont je constate, personnellement, la relative impuissance à transmettre des connaissances solides.

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