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    Nouvel exercice, à faire en milieu d'année de seconde, quand des réflexes un peu solides d'explication des textes sont installés.

    Les "fleurs de rhétoriques" que sont les figures de style sont bien utiles pour expliquer un texte, car elles permettent de mettre des noms sur le choix de certains mots. EN outre, quand on les connaît bien, on les perçoit plus rapidement et on peut donc les expliquer plus efficacement. Surtout, on les goûte avec plus de plaisir.

    Mais il faut bien faire précéder cette révision des figures de style au lycée par un travail plus général sur le choix des mots. La figure n'est qu'une variante d'un processus général : le choix d'un mot plutôt qu'un autre. D'ailleurs, tous les outils d'analyse littéraire peuvent se réduire à ce choix des mots .

    Il est très dommageable que le cours sur les figures de style se réduise au collège à des cours théoriques aboutissant à des repérages qui font fi des capacités de compréhension intuitive des élèves. Pour éviter le technicisme, ces notions doivent venir après une éducation au jugement stylistique.

    Cet exercice permet d'éviter l'écueil du repérage des figures de style, où tout est dans tout. Avec ces repérages globaux, l'élève ne peut que difficilement raccrocher l'analyse à l'interprétation, le comment avec le pourquoi. Ce n'est qu'en se penchant délicatement et patiemment sur une figure de style, en en déployant chaque pétale, qu'on peut acquérir quelques notions techniques tout en affinant ses capacités d'explication littéraire.

     


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    Une variante de l'exercice des "termes choisis", qui doit se faire après ce dernier : quelques réflexes d'explication des mots sont nécessaires pour réussir.

    Ce nouvel exercice met au premier plan les liens qui existent entre les mots d'un texte littéraire. Les mots se font écho, soit qu'ils se rappellent l'un l'autre, soit qu'ils s'opposent par le sens. 

    Ces liens sont importants quand on explique un mot. Il faut le relier aux autres mots des axes syntagmatique (placés avant ou après lui dans le texte) et paradigmatiques (les mots qui auraient pu être choisis à sa place). 

    Notre exercice se propose de quadriller le texte plus ou moins au hasard en se laissant porter les rapports qu'on découvre forcément quand on explique un mot. 

     


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    Premier billet du recensement des exercices que je fais pratiquer en classe de littérature. 

    Un objectif : parvenir à développer l'intuition et la réflexion littéraire de mes élèves. 

    Un moyen : proposer des exercices variés et bien distincts les uns des autres. 

    Un principe : éviter à la fois le technicisme et le subjectivisme, en accordant toute son attention aux mots du texte. 

    1) Quel intérêt?

    Cet exercice permet d'introduire à la réflexion sur les textes, dans la perspective des deux exercices jumeaux que sont le commentaire (encore demandé le jour du bac) et de l'explication de texte (qui a disparu, mais que je fais pratiquer de manière intensive en seconde).

    Il permet de sortir d'une approche du commentaire qui ne cherche qu'à confirmer des idées toutes faites par des références globales au texte (champs lexicaux tautologiques, procédés de tout types, catégorisations grossières, etc.)

    Je me réclame ouvertement de la démarche de Servais Etienne, professeur d'histoire de la littérature à Liège et inventeur dans les années 30 de "l'analyse textuelle", dont il expose ainsi les principes : 

    Il faut lire attentivement, en songeant toujours que l'écrivain ne met à notre disposition que des mots ;

    En songeant toujours que l'écrivain sait ce qu'il fait, même quand la chance l'a aidé dans ses trouvailles ;

    Il ne s'agit pas d'expliquer l'idée de l'écrivain : c'est lui qui est là pour cela ;

    Si l'on n'est pas décidé à sympathiser avec lui aussi longtemps qu'il est possible, inutile d'essayer ; il faut se laisser aller naïvement à la suite des mots : c'est difficile et indispensable ;

    Mais le but n'est pas de noter la réaction du lecteur ; encore moins d'oublier cette réaction, sans laquelle le fait littéraire n'existe pas ; le but est de rendre compte des moyens du texte.

    Réagissant à la domination de l'histoire littéraire dans la pédagogie de la littérature de l'époque, Etienne préconisait d'en revenir au texte lui-même, perçu comme une suite de mots qui avaient fait l'objet d'un choix. Le rôle du lecteur cherchant à analyser ces choix était "d'aller naïvement à la suite des mots", dans une démarche purement linéaire. 

    Il s'agit de s'interroger du choix du mot par l'écrivain : "Pourquoi ce mot plutôt qu'un autre ?", mais aussi de la relation entre les mots : "Pourquoi ce mot relié à tel autre ?" Cette attention au choix des mots induit aussi une attention à l'ordre des mots ("Pourquoi ce mot après ou avant cet autre mot ?") et ne peut être fructueuse si le mot en question n'est pas comparé avec d'autres mots du même texte qui l'ont précédé ("Ce mot en rappelle-t-il un autre ?").

    Mais la démarche de Servais Etienne, d'après ce qu'on peut en lire aujourd'hui, est un peu monotone : lire mot à mot un texte en en méditant chaque terme l'un après l'autre n'est pas à la portée d'un élève de seconde, en tout cas pas longtemps, et pas en début d'année.

    En outre, la méthode linéaire d'Etienne conduit à l'explication de texte linéaire et est difficilement applicable dans un commentaire de texte dit "composé". 

    C'est pourquoi je propose aux élèves de choisir certains des mots à expliquer. Ainsi, ils éduquent leur intuition littéraire, en faisant des paris sur les mots qui auront le plus de sens, d'importance, d'intérêt. En outre, si tous les mots du texte n'auront pas été étudiés à égalité, du moins un nombre non négligeable d'aspect du texte à expliquer seront passés en revue au terme de cet exercice. 

    Le caractère de défi présent dans la consigne quantitative de l'exercice (Choisir un nombre arbitraire de mots à expliquer) a de plus quelque chose de plaisant et de stimulant pour les élèves. 

     

    2) Quelles conditions ?

    Il faut exiger que les élèves ne choisissent qu'un seul mot. Pas un groupe nominal, une expression ou plus. Plus le segment choisi est long, plus les propos que tiendront les élèves seront généraux. 

    Au contraire, plus le segment est court, plus l'élève est obligé de vraiment mobiliser les ressources du bon sens et de la réflexion littéraire que l'on veut mettre en place. 

    Pour éviter qu'ils restent secs, on leur rappelle que l'on peut dire seulement trois choses sur les textes : on peut les décrire, les analyser et les interpréter. On leur fournit aussi la fiche récapitulant les 4 types d'interprétations possibles : rôle, effet, jugement et réflexion.

    Ainsi, pas de raison de ne rien avoir à dire. 

    Il est intéressant de coupler cet exercice avec l'exercice préalable consistant à établir le plan du texte. On pourra ainsi demander de choisir tant de mots par partie, pour balayer l'ensemble du texte. Avec un poème, c'est simple, on demande un mot par strophe !

    Enfin, ces essais d'explications sont évalués par des badges qui montrent le profil qui a été celui de l'élève lors de l'exercice, afin de lui indiquer les qualités et les défauts qui ont été les siens. Il suffit pour cela d'inscrire le nom du badge obtenu en haut de la copie, en plus de l'appréciation. Les élèves se reportent à la feuille où figurent tous les badges qu'il est possible d'obtenir.

    J'ajoute que je réserve cet exercice au début de l'année. Il est très utile pour faire table rase de quelques mauvaises habitudes. Progressivement, j'avance en allongeant les textes et en élargissant l'empan de l'explication (du mot à l'expression, puis au vers ou à la proposition et à la phrase).

     


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  • Nouvelle présentation d'un argumentaire tiré d'un article beaucoup plus long.) 

    Cours sur les manuels d'histoire dans une école normale des années 70.

    Vous connaissez les images d’Épinal, les bonnes vieilles illustrations des manuels d'histoire de la IIIe République ? On se moque souvent d'elles, mais on tenait là un des plus efficaces outils pédagogiques qui ait existé pour enseigner l'histoire à l'école primaire.

    Voici cinq raisons de revenir aux illustrations d'antan.

    1) Des outils pour se projeter dans le passé

    Les dessins de l'époque sont proches de celui des livres pour la jeunesse des années 40 et 50 : couleurs en aplat et formes simplifiées. Les albums du Père Castor sont passés par là, et leur style a essaimé dans les ouvrages scolaires.

    Ce type de dessin a de grandes propriétés identificatoires. Comme l'a montré Scott McCloud dans Understanding comics, plus le dessin est « iconique » (simplifié), plus le lecteur se reconnaît dans les personnages dessinés : ils sont d'autres lui-mêmes. Plus le dessin est réaliste, plus le lecteur perçoit l'altérité de ces personnages :

    « Ainsi, si vous regardez la photographie ou bien le dessin réaliste d’un visage, vous percevez ce visage comme appartenant à quelqu’un d’autre. Mais si vous entrez dans le monde du cartoon, c’est vous-même que vous voyez. »

    Le jeune élève est plus immédiatement concerné par la représentation stylisée, par exemple, d’un homme de Néanderthal, de son front bas, de ses jambes arquées et de ses peintures corporelles, que par des photographies de percuteur et de silex. On observe d'ailleurs que les photos et les représentations d'époque étaient introduites très progressivement dans les manuels du primaire. : jamais avant le CM, et jamais au détriment des illustrations modernes.

    On a souvent dit à l’époque que le dessin était plus « vivant ». Il faut prendre cet adjectif au sens propre : l’illustration stylisée est le réceptacle d’un peu de la « vie » de l’enfant qui l’observe. Observant le dessin, il entre de plain-pied dans une histoire qui devient un peu la sienne.

     

    2) Un passé homogène et donc facile à imaginer

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Quel contraste entre les manuels d'histoire de 2016 et ceux de 1956 !

    Aujourd'hui, la mise page des manuels mêle photographies, croquis, dessins d'illustration et représentations d'époque (gravures, peintures, etc.), formant un véritable patchwork.

    Autrefois, en CE, l'illustration occupait toute la place. Même certains documents étaient redessinés pour l'occasion. Au CM, on introduisait prudemment quelques reproductions originales, en les intégrant en tant que telle dans la mise en page. Pas de fourre-tout visuel, de doubles pages surchargées.

    On faisait le pari que l'élève avait d'abord besoin d'unifier, d'homogénéiser son rapport au passé. Au lieu de laisser le soin de cette unification à l'imagination des élèves, forcément insuffisante à cause du manque de connaissances, on chargeait le dessinateur de lui faciliter la tâche en créant un univers cohérent. Tracés du même trait, époques, civilisations, tableaux, récits et portraits appartenaient tous au même monde imaginaire.

    Ces représentations homogènes et rassurantes, accueillantes pour l'imagination enfantine, ont volé en éclat. On est passé d'une représentation « iconique » à une représentation « indiciaire » du passé (pour reprendre les concepts de Charles Sanders Peirce) : l'image est doit maintenant être un « indice » du passé, une trace, et non plus son équivalent analogique. La charge cognitive s'en est trouvée considérablement alourdie. : l'élève doit accomplir le même effort d'imagination que l'historien.

    Cette évolution est dommageable. L'élève a d'abord besoin de faire l'hypothèse de la cohérence du passé. Ensuite, il pourra accueillir toutes les informations et les

    Comment serait-il possible de questionner le passé si ce passé n'est qu'un amalgame disparate ? Comment trouver des faits pertinents ? Comment élaborer un raisonnement cohérent à propos d'un monde incohérent ?

    L'enjeu du cours d'histoire dans le secondaire est de dépasser l'univocité d'une telle présentation initiale. Mais on ne voit pas comment enseigner des éléments d'historiographie sans qu'il y ait en premier lieur une histoire à remettre en cause.

    3) Des fenêtres sur le passé

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Chaque illustration constitue une entrée vers le monde qui l’englobe. Elle est un point de départ, à partir duquel l’imagination et le raisonnement peuvent reconstruire des pans entiers de la réalité passée.

    Le passé est en effet convoqué dans ces images par une foule de détails savamment agencés et entretenant des liens nombreux avec le monde à l'extérieur du cadre.

    Très souvent, un des éléments du dessin supposait, pour être compris, qu’on postule qu’il n'était qu’une partie d’un tout extérieur à la scène représentée.

    C'est un plat doré que l'on distingue nettement, posé contre la paroi d'une hutte, dans un chapitre sur les Gaulois. N’est-ce pas pour suggérer l’existence d’une métallurgie ? L’enseignant aura beau jeu d’attirer l’attention des élèves sur ce détail pour rendre nécessaire de faire des hypothèses sur sa fabrication.

    Autre exemple, dans le Bernard-Redon, le pavage de la rue nîmoise sur laquelle circule les soldats gallo-romains est repris dans le texte l’accompagnant par la phrase suivante : « Les belles routes romaines servent aux soldats : où vont-ils ? » Un seul élément de l’image, accompagné d’une simple question, permet d’évoquer à la fois le réseau de routes romaines, la technique de leur construction, leur utilité militaire, mais aussi une certaine idée de l’urbanisme romain, caractéristique par sa « beauté ».


    4) Une observation guidée

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Ces images étaient problématisées par les textes qui les accompagnaient. Par exemple, sous le dessin de la hutte, la question elliptique « Fenêtre ? » rend problématique un détail qui n’avait aucune chance de l’être chez la plupart des élèves. Chaque question est une courte problématique qui donne sens à des éléments a priori triviaux.

    L’enfant n’est pas laissé seul à faire des observations et des inductions sauvages : le maître est là pour orienter, guider et canaliser les remarques des élèves. Le texte du manuel est son représentant livresque. Le dessinateur et le programme qu’il suit sont là pour susciter et faciliter ces remarques.

    Le dessin représentant « Les premiers hommes » dans le Brossolette-Ozouf oppose premier et arrière-plan, les chasseurs de dos ramenant une proie dans leur grotte, les femmes plantant maniant le bâton à fouir. C’est toute une répartition sociale qui est suggérée, à la charnière des sociétés de chasseurs-cueilleurs et des premiers cultivateurs. Mais la comparaison des images peut être encore plus explicite, par exemple dans le très répandu exercice de la comparaison des armées :

    Il est donc possible d’organiser la matière historique, au sein d’une grande image ou par l’opposition de plusieurs vignettes, dans des séries qui prêtent aisément à discussion.

    C’est une réflexion inductive qui est proposée à l’élève, mais jamais celui-ci n’est laissé à lui-même. Le terrain est pour ainsi dire préparé, déblayé pour laisser libre court à l’esprit enfantin, qui observe, compare, induit en confiance.


    5) Un dispositif graphique efficace

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Dans ces manuels, à côté des scènes mettant en scène des personnages historiques en action, se multiplient des « tableaux » descriptifs. Mais la présence croissante de ce type d'image n'est pas seulement due à un intérêt de plus en plus grand pour l'histoire non événementielle. Elle témoigne surtout du succès d'un dispositif graphique spécifique : les images foisonnantes. J'emprunte le terme à ma collègue du GRIP Catherine Huby : il est préférable à celui « d'images grouillantes » qu'emploie le théoricien de ces images, Thierry Smolderen.

    Que sont les images foisonnantes ? Tout simplement de grandes images qui « grouillent » de détails sur toute leur surface, comme dans les albums d'« Où est Charlie ? ». Le foisonnement de détail des illustrations d'histoire est certes moindre, mais le mécanisme est le même. On le voit par exemple dans cette planche du Chaulanges, consacrée aux « Travaux et misères des paysans ».

    Un lecteur enfant ne peut qu'être happé par de telles images. Les « images grouillantes » des manuels d'histoire ont peu à peu sélectionné le dispositif graphique le plus attirant qui soit pour les élèves, celui qui les laisse le moins passif et les contraint, en quelque sorte, à observer. L'usage didactique de ces images permet même d'avancer une hypothèse.

    Ces images ont la faculté de faire se perdre dans un autre monde, celui du passé, et de lancer celui qui les observe dans la poursuite d'une cohérence, d'une intention, d'une structure. Elles ont aussi le mérite de réjouir l'œil et l'esprit par le spectacle de la diversité.

    Autre qualité : elles suscitent de la part du lecteur des opérations d'« association libre ». Ce faisant, elles permettent de souligner les différences entre les choses du passé, et de les comparer les unes aux autres. Dans la page du Chaulanges, l’œil et l’esprit distinguent plusieurs espaces compartimentés (les douves, le talus, le chemin, le pré, le champ, le village, la futaie, le château). S’opposent les corvées fatigantes et ingrates, les travaux pénibles des campagnes, des productions, des animaux, des postures et des terrains variés.

    On ne peut donc les contempler un peu attentivement sans s'engager dans un travail d'analyse et de comparaison. Elles contribuent grandement à éduquer les capacités d'induction des élèves en faisant de celle-ci, non pas un devoir, mais une nécessité. Si on voulait être paradoxal, on dirait que de telles images se prêtent davantage à la leçon de choses que les choses elles-mêmes.

    ***

    On constate avec peine la disparition des ces illustrations qui étaient bien plus que l'ornement suranné de manuels à la pédagogie au contenu obsolète. 

    Ou plutôt, on la constate dans les manuels scolaires actuels. Si l'on jette un œil sur l'édition enfantine, les magazines, les livres de vulgarisation pour tous les âges, on constate une persistance de ces images synthétiques. 

    Il y a donc d'une part les enfants à qui les parents peuvent et veulent donner des connaissances historiques, et qui profiteront de cette migration éditoriale des illustrations d'histoire, d'autre part les enfants qui n'auront que ce que leur donne l'école, c'est à dire presque rien.


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