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    "T'as su dire ce que c'était, toi, Manhattan ? - Un nom de youtubeur, non ?" 

     

    A-t-on le droit de demander à un élève de terminale de savoir où se trouve Manhattan ?

    On peut se poser la question à la lecture du sujet de l'épreuve d'anglais du bac 2016 et de la pétition qu'ont lancée le jour-même certains candidats exaspérés. Pour faire court, il serait scandaleux de prendre pour acquis une connaissance qui n'est pas au programme l'année du bac. 

    Des professeurs d'anglais rappellent pourtant que New-York a obligatoirement été étudié auparavant, au collège notamment. Mais quand bien même : programme ou pas, peut-on imaginer qu'à 17 ou 18 ans, des élèves qui sont destinés à poursuivre des études longues ne savent pas deviner, à partir des indices présents dans deux textes et une illustration relativement transparents, que Manhattan est un quartier de la ville de New-York ?

    Cette polémique pose la question plus large de la place de ce que Bourdieu appelle le "capital culturel". L'école aurait le tort de reproduire les inégalités sociales à cause de sa tendance à tenir pour acquis des connaissances et des savoir-faire en fait transmis pour une large partie par les familles, comme un "capital". Contre une culture de la "connivence" culturelle, qui favorise la cooptation des élites (dans les épreuves orales des concours de recrutement, par exemple), le remède résiderait dans l'évaluation des seuls savoirs ayant été explicitement enseignés.

    Malheureusement, l'exemple du bac d'anglais est représentatif d'une aporie de cette approche pour remédier aux inégalités culturelles des élèves.

    Soit l'on accepte que certains apprentissages ne soient pas faits, malgré leur caractère nécessaire, et l'on doit condamner la question demandant d'identifier Manhattan. On accepte ce faisant l'existence de nombreux élèves ayant leur bac et ne sachant pas ce qu'est Manhattan. 

    Soit on refuse de se passer d'une connaissance aussi importante et l'on réclame de l'inscrire au programme de terminale. Mais alors, il faut accepter une inflation démesurée du programme, qui doivent devenir le compendium de tout ce qu'on ne peut ignorer.

    Bref, ou l'on n'en demande pas assez, ou l'on exige trop. 

    En outre, si l'on enfle la quantité de savoirs enseignés l'année d'avant l'examen (ou, pour généraliser notre propos, la période précédant l'évaluation), c'est la mémoire de l'élève qui ne suivra pas. Il est en effet impossible de mener une réflexion approfondie à partir de savoirs acquis trop récemment et donc de manière trop superficielle. 

    Ainsi, au bac de français, on a voulu en 2002 réduire la part du "capital culturel" en introduisant un "corpus" de textes sur lequel est posé une question de synthèse, et qui peut servir de matériau lors de la dissertation générale qui suit cette question initiale. Mais à vouloir tout mettre sur la table pour que tous les élèves puissent réfléchir à égalité, on a surchargé la mémoire de travail des candidats. Submergés par les informations, ils ne peuvent toujours pas faire de vraie dissertation littéraire, pas plus avec leur "capital culturel" qu'avec "l'emprunt culturel" qu'on veut bien leur accorder, et qu'ils ne savent pas faire fructifier. 

    C'est l'erreur que font les professeurs d'anglais qui critiquent la pétition des candidats mécontents. Que New-York ait été déjà étudié avant l'année du bac ne permet pas de contredire ceux qui accusent cet examen de ne pas respecter les règles du jeu. En effet, il ne suffit pas d'avoir "vu" une connaissance une fois pour qu'elle soit vraiment acquise, quel que soit le degré d'explicitation avec lequel elle a été transmise.

    Pour connaître Manhattan, pour connaître vraiment Manhattan, il faut l'avoir croisé un grand nombre de fois dans ses lectures, ses visionnages, ses conversations, chaque occurrence ravivant et approfondissant la connaissance qu'on en a. Manhattan, c'est New-York, c'est une île, c'est Central Park, c'est le Central Perk, c'est un cocktail, c'est le coup de foudre de Jennifer Lopez, c'est Woody Allen, c'est le projet Manhattan, c'est mille objets de connaissance à la fois. Le psychologue Alain Lieury parlait à ce propos "d'apprentissage multi-épisodique". 

    Que faire alors pour que dans 12 ans les futurs bacheliers ne se fassent pas surprendre par des sujets faisant appel à une culture vraiment générale ? Eh bien, il faut proposer aux élèves qui ont 6 ans aujourd'hui, dès le CP donc, un programme de géographie suffisamment dense en connaissances, susceptibles de contenir, au moins superficiellement, des connaissances sur New-York.

    Ce programme ne doit pas s'attarder outre mesure sur l'environnement proche en allant "du proche au lointain". Le monde et ses lieux les plus connus sont tout à fait abordables par de jeunes élèves. Surtout, il faut que ces connaissances géographiques soient réinvesties le plus souvent possibles les années suivantes : le parcours doit être fait au moins deux fois à l'école primaire, de manière plus approfondie évidemment. Pour cela, il faut varier les intersections entre disciplines : géographie et histoire, géographie et urbanisme, géographie et arts, etc. Un des buts du cours de géographie à l'école primaire devrait être de faire faire aux élèves le tour du monde depuis leur classe, et plusieurs fois !

    Même si Manhattan n'a pas été nominativement abordé en classe avant le bac, il y a très peu de chance que New-York ne l'ait pas été. En outre, à force de croiser des connaissances connexes qui incluent plus ou moins explicitement les items "Manhattan" et "New-York", les élèves auront davantage de chance de trouver en eux les ressources pour deviner le jour du bac que Manhattan est un quartier de New-York. La connaissance appelant la connaissance, le programme servira de terreau aux lectures ultérieures, aux visionnages de films, de photographies, de reportages. Faute d'avoir inculqué ces connaissances de base à l'âge adéquat de l'enfance, au moment où l'on s'intéresse si naturellement aux sujets les plus variés, on empêche les élèves de saisir plus tard les occasions de construire leur propre culture. 

    Malheureusement, les programmes de l'école primaire actuelle, ceux de 2008, ne commencent à vraiment faire découvrir le monde qu'à partir du CE2. Ceux de 2016 repoussent encore cette découverte au CM1. Nos bacheliers 2016 ont connu les programmes de 2002, encore moins ambitieux en termes de contenu. Pas étonnant que la question du bac leur pose d'aussi douloureux problèmes !

     

     

     


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    Allégorie : candidat du bac tentant de faire sa dissertation tout en lisant les textes du corpus.

     

    Comme chaque année dorénavant, les sujets du bac de français prêtent le flanc à une polémique. L'année dernière, c'était le fameux "Tigre bleu" de Laurent Gaudé. Cette année, c'est le choix d'Anatole France et du thème de l'oraison funèbre. Au delà de la question de savoir si Anatole France se prénomme France ou Anatole, on constate que c'est le caractère désuet des textes offerts à la sagacité des bacheliers qui pose problème. 

    Françoise Cahen, qui a récolté un joli succès grâce à sa pétition réclamant la présence des femmes dans les programmes de terminale L, constate qu'il n'y en a pas plus à l'épreuve générale de première. Elle rejoint ainsi Jean-Michel Le Baut, qui critique le pompiérisme du choix des textes et regrette l'absence d'auteurs bien vivants, supposés plus "ardents", à la place des discours d'écrivains morts faits pour les funérailles d'autres écrivains morts. La littérature parlant du monde, en prise avec le monde contemporain dans ce qu'il a de plus moderne, voilà ce qui sauverait le soldat Bac.

    Le pauvre Anatole France devient un hashtag populaire et en prend encore pour son grade, comme c'est le cas depuis un siècle, même si certains prennent sa défense

    Et l'on entend à nouveau la petite musique de la fin du bac. Le bac monument, vestige d'un système scolaire élitiste et conservateur : voilà des arguments qui vont réchauffer le cœur de ceux qui veulent en terminer avec lui, pour des raisons économiques (il coûte cher) ou pédagogiques (la pédagogie qu'il suppose est passive et réactionnaire).  

    Mais les critiques se trompent de cible. Plus que le contenu des sujets, c'est bien la nature des épreuves qui est à revoir, si l'on veut sauver le bac. Cette épreuve doit se réviser pour garder une pertinence pédagogique. 

    1/ Sus au corpus !

    Il faut bien avouer que le sujet qui fait débat (celui des S-ES) est bien ennuyeux pour les jeunes gens qui passent le bac. Des écrivains morts comme sujet et l'art oratoire comme genre : il y a plus sexy. 

    Mais il ne faut pas en conclure à la nécessité de faire composer le jour J les élèves sur des écrivains vivants et sur des textes ouverts au monde. Les écrivains morts sont très vivants s'ils sont bons et si l'on a bien fait travailler les élèves dessus pendant l'année. Et l'écriture et la mort appartiennent au monde, après tout.

    Mais cette drôle d'idée de compiler des oraisons funèbres d'écrivains ne vient pas de nulle part. Elle vient de la nécessité de constituer, année après année, ces fameux "corpus" de textes sur lesquels les candidats sont invités à réfléchir au début de l'épreuve. C'est la "question sur corpus", qui vaut 4 points sur 20 au bac général. 

    Or, il faut se mettre à la place des concepteurs des épreuves. Les contraintes sont importantes : trouver des textes de même genre, d'époques variées, de style varié, mais avec un thème commun. Je suis persuadé que ceux qui ont fait les sujets se sont félicités d'avoir trouvé les quatre textes proposés cette année. Des écrivains qui parlent d'écrivains, dans des éloges funèbres ! Et en plus, on a trouvé quatre textes à peu près accessibles qui entrent dans le thème !

    Bref, le thème décide des textes. Et s'il faut sacrifier au passage les centres d'intérêt des élèves, après tout, c'est le bac : ils ne sont pas là pour s'amuser. 

    Et tout cela pour que les élèves puissent commencer leur épreuve par une question  sur 4 points et sauver ainsi les performances de ceux qui rateront leur commentaire littéraire, leur dissertation ou leur sujet d'invention (au choix et notés sur 16) !

    Car le corpus et la question sur corpus ont été introduits justement pour sauver les meubles au bac de français. Surtout, ne pas faire mettre aux élèves tous leurs œufs dans le même panier !

    Quant au choix du discours d'Anatole France, symbole d'une certaine ringardise depuis un siècle, déplorons plutôt que le choix n'ait pas porté sur un de ses romans, Les Dieux ont soif et son tableau révolutionnaire par exemple, qui aurait toute sa place au bac. Mais quoi ! il fallait constituer le corpus. Et pour constituer le corpus, on s'autorise à inscrire des textes mineurs au programme. 

    Donc, pour se donner plus de marge de manœuvre dans le choix des textes : exit le corpus. 

    2/ Une-seule-solution : la disserta-ti-on ! 

    L'exercice du commentaire n'est pas à remettre en cause. Les élèves le choisissent majoritairement parce qu'ils ont devant eux la matière à traiter dans leur devoir. Pas de problème d'inventio, comme le disaient les orateurs antiques : les idées attendent les élèves dans le texte. Il suffit de s'être entraîné à analyser des textes de genre divers pour y arriver.

    Le commentaire est dans son principe indéboulonnable, et en pratique, il est suffisamment souple pour survivre aux différents avatars de l'épreuve du bac. De "commentaire composé", il est devenu commentaire "littéraire", pour laisser, en théorie, plus de liberté dans la manière d'aborder le texte, de manière moins systématique. Qu'on prenne cela pour du pragmatisme face au niveau des élèves actuels ou bien comme une salutaire ouverture vers la subjectivité et une approche moins "froide" des textes, il reste que le commentaire de texte a gardé de sa pertinence. 

    La dissertation, en revanche, est critiquable. Jean-Michel Le Baut pointe ainsi un vrai problème : 

    En L, le sujet de dissertation est-il traitable par un élève qui aurait abordé la question des réécritures non par l’angle des mythes, mais par un autre biais, voire par une pratique de la réécriture comme le recommandent les programmes ?

    Il a raison : la dissertation est impossible à faire. Seule une partie minime des élèves en est encore capable. Et encore les note-t-on avec beaucoup d'indulgence. 

    En pratique, on dirige le plus souvent le gros des troupes bachelières vers le commentaire, et l'on réserve la dissertation aux élèves les plus cultivés et les plus à l'aise rhétoriquement parlant. Il faut en effet répondre à une question souvent théorique, qui concerne la littérature en général !

    Il faudrait pour la réussir posséder une culture très importante, avoir lu des dizaines d’œuvres classiques (et s'en souvenir suffisamment précisément...). C'est ce qu'on demande au CAPES, et pour le concours de l'ENS-Ulm. 

    Pour pallier les carences de la culture littéraire des élèves, on a justement introduit le corpus de textes, qui tous peuvent servir d'exemple pour la "disserte". Théoriquement, un élève sans culture doit pouvoir s'en sortir. Plus besoin de "capital culturel", plus besoin d'être un "héritier" pour disserter. 

    Or, comment exploiter comme exemples des textes qu'on vient de découvrir ? D'ailleurs, comment tirer de ces textes des idées intéressantes si on n'a pas la culture suffisante pour avoir les clefs de lecture qui permettent d'en tirer ce qui peut avoir rapport au sujet ?

    Au lieu de faciliter le travail des élèves, ces textes surchargent leur mémoire à court terme. Pire, ils leur donnent parfois l'illusion d'avoir des choses à dire sur le sujet, alors qu'ils n'ont prélevé dans le corpus que les caractéristiques les plus triviales et évidentes pour y répondre. 

    Pour traverser la rivière du bac, on a disposé des pierres pour que les élèves y posent leurs pieds. Mais les pierres sont glissantes, et branlantes. Seuls ceux qui savent nager parviennent à traverser. Et l'art de la nage se fait de plus en plus rare. 

    Les professeurs ont tendance, pour contourner l'obstacle, à faire un cours magistral (ou une correction de devoir) sur un nombre suffisant d'aspects de la question au programme. Pour l'item "Le théâtre - Texte et représentation", on veillera à parler des costumes, des décors, des didascalies, bref : à faire le tour de tous les sujets possibles.

    C'est infaisable, on va trop vite, on survole la question, et à la fin, c'est évidemment un sujet qu'on n'a pas traité qui tombe le jour de l'épreuve... Un bel exercice de gavage d'oies. 

    Il faut donc revenir à l'ancienne formule de la dissertation. Pas celle d'avant-guerre, quand les sujets pouvaient avoir les formes les plus variées et les plus baroques (le discours en latin sur auteur français devait être assez folklorique). Il suffit de revenir aux années 90, quand j'ai moi-même passé le bac, à l'époque où la dissertation portait sur un programme d’œuvres. Un élève travailleur, sans grand capital culturel, peut s'en sortir face à une question qui porte sur une oeuvre étudiée en classe. 

    Pourquoi ne pas passer à la dissertation sur auteur, à partir de l'oeuvre étudiée en classe ? Prenons le sujet de dissertation des ES-S de cette année :

    Les écrivains ont-ils pour mission essentielle de célébrer ce qui fait la grandeur de l’être humain ?

    Il est infaisable, sauf à réciter son cours sur les différentes missions  de l'écrivain (cours passionnant, j'imagine, pour des élèves qui ont lu trois romans classiques dans leur vie...)

     Mais réduisons un peu le champ de la question à un auteur seulement : 

    Corneille a-t-il pour but essentiel de célébrer ce qui fait la grandeur de l'être humain ? 

    L'élève pourrait répondre à cette question avec son seul Cinna, Horace ou avec Le Cid. C'est une culture véritable qui serait évaluée, mais une culture précise, circonscrite. On passerait d'un bac-Trivial Pursuit à une véritable épreuve littéraire, que beaucoup plus d'élèves pourraient réussir honorablement. 

    3/ Invention : piège à con.

    C'est un peu ce qu'on se dit quand on lit la plupart des "écrits d'invention" du bac. Des devoirs trop courts, vides d'idées, où les élèves misent tout sur l'animation du dialogue, de la lettre ou du discours qu'on leur demande d'écrire.

    Mais il faut avouer qu'on l'a bien cherché. Les sujets donnés sont le plus souvent des manières de faire faire aux candidats ce qu'on appelle entre nous des "dissertations déguisées". On ne cherche le plus souvent qu'à leur faire dire ce qu'on voudrait qu'ils eussent dit dans une dissertation littéraire, mais sous une forme plus libre. 

    Les élèves ne prennent la mesure de cette exigence que de manière exceptionnelle. 

    Cependant, plus rarement, c'est à un exercice d'imitation qu'on a affaire. Il s'agit d'imiter un des textes du corpus, de parler du même thème, d'en écrire la suite ou une version alternative ; bref, de faire oeuvre d'écrivain. 

    Le sujet des ES-S n'était pas mauvais cette année :

    À l’occasion d’une commémoration, vous prononcez un discours élogieux à propos d’un écrivain dont vous admirez l’œuvre. Ce discours pourra réutiliser les procédés, à vos yeux les plus efficaces, mis en œuvre par les auteurs du corpus.

    Il mêlait habilement une forme précise à imiter et un contenu pas si idiot que cela pour un élève en fin de cursus littéraire : parler d'un écrivain dans sa globalité ne devrait pas être quelque chose d'impossible à ce stade-là. 

    Il faut donc généraliser des sujets moins réflexifs, qui ne portent pas systématiquement sur la littérature. Mais la part d'invention doit être doublée d'une exigence d'elocutio  (l'élocution, la manière de formuler les idées, toujours selon les orateurs antiques). Le jour où on demandera un discours en alexandrin au bac, on aura redonné du lustre à cet exercice. Surtout, on aura permis à des élèves moins cultivés de s'entraîner à un exercice profitable et qui ne nécessite pas un si gros capital culturel que cela. 

     

    ***

    Le bac est au milieu du gué. On entend déjà des rumeurs de sa disparition, de sa dilution dans le contrôle continu. Sans aller jusque-là, je ne serais pas surpris si l'oral du brevet, portant à partir de 2016 sur les EPI (projets interdisciplinaires) faits pendant le collège, constitue le modèle de certaines épreuves du bac à venir : des portfolios, des ambitions encore revues à la baisse en terme de contenu, et l'accent mis sur l'aisance dans la communication.

    Soit le bac continue dans cette voie et disparaît, soit il fait un petit pas en arrière : plus de corpus, une dissertation plus précise, une invention plus inventive et résolument rhétorique. Dès lors, il pourra tout à fait concilier exigence intellectuelle, centre d'intérêts des élèves, beauté des textes, le tout dans des épreuves qui resteront faisables. 

    Depuis quelques jours, les débats ont repris pour savoir si le niveau du bac baisse. La ministre Najat Vallaud-Belkacem affirme qu'il est plus exigeant qu'autrefois. Dans un article de blog très relayé, Françoise Cahen accuse ceux qui croient à une baisse de niveau d'être aigris. 

    Dans le cas du bac de français, on l'a vu, l'aspect irréaliste de certaines exigences (notamment en dissertation) et l'inefficacité des outils mis en place pour les rendre accessibles est plus que compensé par la baisse généralisée des attendus réels lors des corrections : nombre d'idées se comptant sur quelques doigts d'une seule main, qualité d'écriture médiocre et fautive, superficialité du raisonnement, etc. 

    Il faut donc dans un double mouvement proposer des exercices faisables et exiger que ces exercices soient bien faits. C'est la seule solution pour ne pas nous retrouver, nous, défenseurs des études littéraires "à la française", "le bac dans l'eau". 

     


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    Toujours convaincu par la nécessité de présenter à nos lycéens faibles lecteurs (une majorité) les plans des romans et des pièces de théâtre qu'on leur donne à lire, j'ai concocté celui du prochain roman que je vais faire avec mes premières : Un de Beaumugnes, de Jean Giono. 

    Ce roman est peu étudié en première, mais je le trouve très intéressant à ce niveau, pour le dépaysement qu'il propose à mes élèves, la beauté du texte et de la réflexion, mais aussi, tout simplement, pour son histoire simple mais qui repose sur un mystère assez palpitant. 

    Vous remarquerez justement que je m'arrête de résumer au moment où a lieu la révélation centrale de l'intrigue. Arrivés là, mes élèves continueront tous seuls. 

     


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  • Ceci est un manuel de grammaire des années 50 selon les historiens de l'éducation actuels. 

    Voici un extrait modifié d'un article plus long, précédemment consacré à la pédagogie des leçons de choses et à l'utilisation des manuels scolaires avant les années 70.

    Je veux mettre en relief la petite découverte historique que j'ai faite concernant la date de généralisation de l'usage des "doubles pages" dans les manuels scolaires. Un point de détail, sans doute, mais qui en dit long sur les préjugés à l'oeuvre en histoire de l'éducation...

     

    Si l'on en croit les historiens de l'éducation, le format de la « double page » dans les manuels scolaires n'est apparu que tardivement, dans les années 70, après que la tradition pédagogique de l'école primaire de la IIIe République a été rejetée.

    On dira que cette question est un point de détail de l'histoire de l'éducation en général, et de celle des manuels scolaires en particulier.

    Je voudrais au contraire montrer son importance cruciale dans l'évolution du lien existant entre le contenu pédagogique et les formes éditoriales scolaires.

     

    1/ La double page et la pédagogie constructiviste

    Dans son livre Supports pédagogiques et inégalité scolaires, S. Bonnery1, qui se réclame d'Alain Choppin, la référence sur le sujet, semble indiquer que le « format » de la double page « s’est imposé depuis » cette époque. Il rejoint en cela J.-P. Archambault2 pour qui l'évolution daterait des « trente dernières années », « à partir des années 70 ». C'est de cette décennie que daterait « le règne de la double page », selon la formule d'Eloïsa Perez3.

    Si on croit J.-P. Archambault :

    L’ouvrage permet des lectures plurielles et des usages multiples. C’est à l’enseignant de définir un itinéraire parmi des éléments disjoints regroupés en rubriques (activités préparatoires, dossiers, iconographies, exercices) plutôt qu’en chapitres. La structure récurrente de la double page accueille des éléments éclatés. Il n’y a plus de cours en tant que tel. Le livre devient davantage un outil parmi d’autres à la disposition de l’enseignant qu’un ouvrage de référence pour l’élève (53).

    Daniel Niclot qualifie la répartition en doubles pages de disposition « réticulaire », par opposition à la disposition « linéaire » des manuels de la génération précédente, composés comme une succession de chapitres de tailles diverses4. Tous accréditent un lien entre la double page et sa non linéarité interne, c'est-à-dire le fait que son contenu soit disposé de manière éclatée.

    Ce serait donc l'avènement des pédagogies modernes, dites d’Éveil, à partir de 1969, qui aurait rendu nécessaire une nouvelle mise en page, plus à même de servir de support à des activités d'enquête et de mise en relation de documents. La double page serait le support naturel de la nouvelle pédagogie constructiviste.

     

    2/ Un « règne de la double page » plus précoce que prévu 

    Pourtant c’est dès la période d'après-guerre que la disposition en doubles pages a majoritairement pris le dessus sur les dispositions moins standardisées, où la longueur de la matière à traiter dictait la mise en page.

    Le tableau ci-dessous examine 80 manuels édités entre 1945 et 1969, numérisés par les soins des rédacteurs du site Manuels anciens jusqu’au mois d’avril 2015, au hasard de leurs découvertes, des prêts de manuel et de leurs achats. On estimera donc cette sélection comme représentative d’un état du marché des manuels récents pendant la période.

    Nous avons choisi d’observer les manuels de sciences, mais aussi de géographie, d’histoire et de grammaire. Ces quatre matières se rapprochent à l’époque de la méthode des leçons de chose, véritable « paradigme pédagogique » de l'époque selon Pierre Kahn5, et ont le mérite de ne traiter que d’une matière à la fois. C’est pourquoi nous n’avons pas fait rentrer dans la liste les « livres uniques » de français, pourtant très utilisé à l’époque. Le livre de grammaire s’attache à chaque fois à une seule notion, et ne cherche pas à en articuler plusieurs.

    Les différentes dispositions des leçons dans les manuels de primaire entre 1945 et 1969 répertoriés par le site Manuels anciens le 06/04/14.

    Si l'on observe les neuf manuels de leçon de choses pour le Cours élémentaire, tous sans exception sont disposés ainsi. Et si le dixième s'en distingue par une répartition plus rapide d'une leçon par page, c'est parce qu'il s'agit des Exercices d'observations au cours élémentaire 1re année d'Orieux-Evaerere6, qui répondent à d'autres critères que le manuel de Leçons de choses CE des mêmes auteurs (on est plus proche d'un fichier d'exercices que d'un manuel).

    On remarque ainsi une association préférentielle, massive, de la double page avec les leçons de choses, association qui se diffuse en géographie, en histoire et en grammaire. Elle est seulement concurrencée par les leçons en une page, surtout en géographie, mais qui ne changent pas grand chose au constat, puisqu'on voit partout le souci de placer tous les éléments de la leçon sous le regard de l'enfant. Si l'on additionne les deux premières colonnes, on constate que 70 manuels sur 80 partagent ce souci. Si l’on y ajoute les dispositions mixtes, mêlant leçons d’une page et doubles pages, on arrive au chiffre de 76/80, soit 95 % des manuels. La prédominance de la double page s'explique sans doute par la volonté de faire chaque leçon en deux séances, comme le conseillent presque toutes les préfaces. Ajoutons, pour la grammaire, un partage de la double page entre leçons et exercices.

    Toujours est-il que la correspondance entre l'unité pédagogique et l'unité éditoriale courte (la page ou la double page) est acquise bien avant les années 70 et l'abandon du paradigme des leçons de choses. La disposition « linéaire » (chapitres, chevauchement des pages par les leçons, longueur variable des unités de la leçon) est un vestige du passé.

     

    3/ Les raisons d'un anachronisme

    Pourquoi S. Bonnery, à la suite d'A. Choppin, ne voit-il pas que le « règne de la double page » est bien antérieur aux années 70 ? C’est sans doute que leur constat ne vaut que pour les manuels du secondaire, qui auraient fait leur mue après les manuels du primaire. Le secondaire aurait donc emprunté une avancée éditoriale à un paradigme pédagogique révolu, pour mettre en forme des manuels conçus selon un nouveau paradigme, celui de la pédagogie du document et de leur « mise en relation ».

    Il n'est même pas sûr que cet emprunt se soit fait de manière continue. En effet, certains livrets d’Éveil et certains manuels de sciences des années 70-80 prennent des libertés avec la disposition en doubles pages. Son hégémonie dans les manuels ultérieurs serait-elle déjà le fruit d'un revival, d'un retour à une forme plus lisible et plus pratique, au moment où les longues séquences d'activités d’Éveil n'ont pas su s'imposer à l'école primaire ni infuser dans le secondaire ?

    En fait, cette vision erronée de l'histoire des manuels scolaires est symptomatique d'un déni. La pédagogie traditionnelle, même quand on lui reconnaît une cohérence certaine, comme le font Pierre Kahn ou Stéphane Bonnery, n'est pas créditée de la qualité d'inventivité.

    L'évolution extraordinaire des manuels au milieu du XXe siècle est ainsi détachée de toute considération pédagogique. Le format de la double page et son « règne » précoce prouve au contraire que cette pédagogie a évolué et s'est peu à peu forgé les outils lui permettant d'exister vraiment, au-delà des pétitions de principe des théoriciens de l'école.

     

    1Stéphane Bonnéry (dir), Supports pédagogiques et inégalité scolaires, La dispute, Paris, 2015.

    2Jean-Pierre Archambault, « L’édition scolaire au temps du numérique », in Médialog, n°41, sept. 2001, p. 53 ; URL : http://www.cndp.fr/crdp-paris/IMG/pdf/ednumeriq41.pdf.

    3Éloïsa Perez, « Le manuel scolaire, symbole d’une industrie en mutation » ; URL : http://strabic.fr/Le-manuel- scolaire

    4Daniel Niclot, « La lisibilité des manuels scolaires de géographie : l'exemple des ouvrages de la seconde publiés de 1981 à 1996 », in L'information géographique, volume 64, n°2, 2000. pp. 166 ; URL : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ingeo_0020-0093_2000_num_64_2_2696

    5Pierre Kahn, La Leçon de choses : Naissance de l'enseignement des sciences à l'école primaire, Presses Univ. Septentrion, 2002, p. 224.

    6Marcel Orieux et Marcel Evaerere, Exercices d'observations au cours élémentaire 1re année, Classiques Hachette.


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    État d'un élève de seconde après la lecture de trois vers de Racine. 

     

    On n'est pas au lycée pour enfiler des perles ! Donc, ces temps-ci, avec mes secondes, nous lisons du Racine. Mais ce n'est pas parce que c'est le lycée qu'il ne faut rien faire pour se faciliter la vie. 

    J'avais déjà expliqué comment, grâce à quelques artifices de mise en page (numérotation, retraits rendant visible les transitions, titrage), on pouvait aider les élèves à entrer dans ces textes, qui constituent pour la plupart d'entre eux un véritable Himalaya. 

    J'ai encore avancé dans ma réflexion et j'ai lancé mes élèves dans leurs extraits d'Andromaque avec cette fiche pour leur venir en aide, qui répertorie les trois obstacles principaux qui les empêchent de comprendre cet auteur. 

     

    J'ai complété cette démarche en allant plus loin dans l'adaptation des textes. Au trois techniques évoquées plus haut, j'ai ajouté deux artifices éditoriaux en lien avec les obstacles pointés dans cette fiche.

    Devant chaque vers présentant une inversion poétique, j'ai placé une icône indiquant qu'il faut le remettre en ordre. 

    Chaque fois qu'un nom est repris par une multitude de pronoms et d'adjectifs sans être lui-même répété, je le mets en gras. Les mots qui le reprennent sont eux mis en italique : chaque fois qu'un élève hésite sur la référence d'un "il", d'un "leur" ou d'un "son" en italique, il lui suffit de remonter au premier mot en gras, qui lui donne la solution. 

    Voici le résultat : 

     

     


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