• De l'utilité du "complément de phrase" en cours de grammaire

     

    Complément de verbe tentant de monter en grade en complétant la phrase dans laquelle il se trouve.

     

    À l'occasion de la mise en oeuvre des nouveaux programmes à la rentrée, notamment en grammaire, on voit fleurir sur internet les propositions d'infographies, de leçons, d'exercices.

    Et la grande mode, juste après le nouveau, mais pas si utile, prédicat, c'est le complément de phrase. Puisqu'on a supprimé du cycle 3 (CM1-CM2-6e) les COD, COI et autres CC, le seul travail concernant les compléments sera de dire s'ils se rapportent à un mot de la phrase ou à la phrase elle-même.

    Ainsi, dans toutes les écoles primaires de France, on enseignera la chose suivante : 

    1° "Dans les phrases, le complément peut se rapporter au verbe ou à la phrase elle-même"

    Le "groupe" "dans les phrases" complète la phrase entière.

    2° "Le complément de phrase ne complète pas le verbe uniquement."

    Le "groupe" "le verbe" complète le verbe "complète". (Désolé, les exemples sont tordus, mais ça me fait rire...) 

     

    1/ Bref, les COD et COI complètent le verbe et les Compléments circonstanciels complètent la phrase. 

    Or, comment un groupe peut-il compléter la phrase elle-même, puisqu'il se situe lui-même dans cette phrase ! Le Baron de Münchhausen se sortant de la rivière lui et son cheval en se tirant par le catogan s'y retrouverait sans doute...

    Il faudrait, à tout le moins, parler de complément de la proposition. Sinon, on installe la confusion chez les élèves, qui arrivent déjà au collège sans maîtriser la différence. (Pour rappel : 1 proposition = 1 sujet + 1 verbe ; 1 phrase = 1 majuscule + 1 point final.)

     

    2/ Autre point qui me chiffonne : un complément circonstanciel complète la "phrase" (en fait la proposition, mais je vais continuer à utiliser la formulation fautive en cours dans les programmes) quelle que soit sa position. 

    "Dans les prés, les vaches paissent l'herbe fraîche"

    et

    "Les vaches paissent l'herbe fraîche dans les prés", 

    même combat : "dans les prés" = complément de la proposition de la phrase "Les vaches paissent."

    Mais au nom de quoi la possibilité de déplacer un groupe de mots a-t-il pour conséquence de le rattacher non plus au verbe seul, mais au verbe + son sujet + ses compléments éventuels ?

    Après tout, "l'herbe fraîche" est mangée (*trouve pas le participe passé de "paître"*) par les vaches : ce COD pourrait tout à fait réclamer le droit de compléter la proposition entière ! 

    Et "les prés", dans lesquels paissent les vaches, complètent eux aussi l'action de "paître". En quoi est-il si crucial de faire la différence, surtout à l'école primaire ?

     

    3/ Parce qu'il y a effectivement des mots qui se rapportent à une proposition ou à une phrase. Certains adverbes modulent non pas l'action exprimée par le verbe, mais la situation ou l'événement précis auxquels la phrase fait référence. 

    Dans la phrase

    "Heureusement, on ne fait plus de grammaire au lycée",

    l'adverbe "heureusement" se rapporte à une situation complète, et pas à la seule action de "faire". Si l'on déplace l'adverbe après le COD, le sens n'est plus le même :

    "On ne fait plus de grammaire heureusement au lycée."

    Avec "dans les prés", en revanche, le sens ne change pas selon la position dans la phrase.

     

    4/ Pourquoi alors mettre ce complément en début de phrase, séparé du sujet par une virgule, comme dans notre formulation initiale ? 

    Eh bien, pour des raisons de rythme : dégager une information en début de phrase permet de clarifier la proposition qui suit. Pour des raisons de distribution des informations : le cadre étant posé, on peut passer plus précisément à l'événement raconté. Pour des raisons stylistiques : l'antéposition du Complément circonstanciel caractérise souvent la langue littéraire. 

    Mais dans tous les cas, le Complément circonstanciel n'a pas un fonctionnement logique et référentiel différent des Compléments d'objet. Tous se rapportent à une action ou à un état exprimé par le verbe.

    Et c'est justement un des intérêts de l'enseignement de la grammaire, notamment en primaire, que de faire réfléchir les élèves à la logique de l'assemblage des mots dans la phrase. Les catégories sémantiques que sont les "circonstances", "l'objet", le "lieu", le "but", etc. permettent de prendre du recul sur le flux langagier pour déterminer le mécanisme de la signification. 

    En revanche, les arguties concernant la portée des compléments reviennent à faire de la grammaire d'étiquetage, celle-là même que condamnait Denis Paget, responsable de la commission de rédaction des nouveaux programmes de français au Conseil Supérieur des Programmes. Le complément de phrase ne permet de faire rien de plus que les CC et les CO ne permettaient de faire, mais il empêche d'enseigner les éléments d'une compréhension théorique de la syntaxe française, éléments pourtant tout à fait à la portée des élèves de cycle 3.


  • Commentaires

    1
    Samedi 6 Août 2016 à 02:26

    Merci pour cette belle argumentation. cool

    2
    Samedi 6 Août 2016 à 22:38

    Merci, c'est très clair, ou presque. Pâturée, ce serait bien, non, à la place de mangée ? Même si ce n'est pas non plus le participe passé du verbe paître...

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    3
    Samedi 6 Août 2016 à 23:04

    Et pour les compléments obligatoires type "je mange à la cantine" ou  "je range rapidement" ? j'ai lu des discussions contradictoires entre appartenant au prédicat et complément du verbe et d'autres disant ce sont des CC donc des compléments de phrase . Et me dire que pour ne pas avoir le dilemme , je ne donne pas de phrase de ce type ne me satisfait pas.  

    (enfin bref, je ne vois pas dans cette réforme la moindre simplification bien au contraire puisque cela nous embrouille même nous ... comment l'enseigner alors ?) 

      • Samedi 6 Août 2016 à 23:12

        "à la cantine" : CCLieu

        "rapidement" : on dit parfois que l'adverbe "modifie" le verbe. Certains parlent de complément, ce que je trouve exagéré. Pour ma part, je me contentais au collège de dire qu'il se rapportait au verbe.

        En règle générale, on peut toujours sortir d'un cas difficile en se contentant de dire à quel mot le mot analysé se rapporte. 

    4
    Lundi 8 Août 2016 à 08:31

    Bonjour, je rejoins la conversation, qu'en est-il du CIL (complément indirect de lieu) que j'enseignais au CM2 ? Il a lui aussi disparu...

    Mes élèves continueront à différencier les COD, COI et les CC, ils les connaissent, je ne me vois pas leur dire à la rentrée, que c'est fini.sarcastic

    Merci pour cet article

    5
    averoes
    Samedi 13 Août 2016 à 10:23

    Bonjour.

     

    En ce qui concerne le participe passé de "paître", le Larousse de conjugaison (ed. 1987) propose "pu".

    Le-professeur a dit : <<"rapidement" : on dit parfois que l'adverbe "modifie" le verbe. Certains parlent de complément, ce que je trouve exagéré.>>

    Parler d' "adverbe" et de "complément" n'a rien d'antinomique, ni d'exagéré me semble-t-il, puisque le premier substantif renvoie à la nature du mot, tandis que le second à sa fonction.

     

    Bien à vous.

    6
    Steph du 13
    Mardi 1er Novembre 2016 à 19:47

    Merci! ça fait du bien de vous lire tous, et de constater que je ne suis pas la seule perdue dans cette terminologie. Mes élèves de CM2 ont eu l'habitude d'utiliser complément circonstanciel, COD, COI, et je vais les perdre en utilisant une terminologie que ni eux ni moi ne maîtrisons.

    Doit-on préciser complément de phrase de lieu, de temps etc, ou ne rien dire?

    Quelle galère!

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