• Enseigner des faits historiques avant le CE2

     

    8 raisons d’enseigner de « grands faits historiques » avant le CE2


    Interdit aux moins de 8 ans.


    Tout va pour le mieux dans la meilleure des écoles en cycle 2, selon l’association disciplinaire Aggiornamento. Dans son récent article de critique (constructive) des nouveaux programmes, elle nie la disparition de l’histoire en cycle 2 :

    En cycle 2, contrairement aux assertions mensongères, il est bien question d’initiation au raisonnement historique. En proposant, dans la rubrique “questionner le monde” (superbe intitulé !) un travail sur la construction du temps historique, sur les frises chronologiques, et, en CE2, sur “quelques grands faits” (intitulé contestable cette fois) de quelques périodes historiques, les élèves sont sensibilisés à l’étude du passé (p36).

    Allons voir dans le projet de programmes de cycle 2 :

    CE2 : Les élèves découvrent et comparent les modes de vie de quelques personnages, grands et petits (un paysan, un artisan, un ouvrier, un soldat, un puissant, ...), appréhendent quelques grands faits de quelques périodes historiques. A partir de critères de comparaisons construits, les élèves découvrent comment d’autres sociétés vivent et se sont adaptées à leur milieu naturel (habitat, alimentation, vêtements, coutumes, importance du climat, du relief, de la localisation, ...)

    Alors, effectivement, il y a un peu d'histoire qui sera fait, en CE2, c'est à dire la dernière année du cycle 2. D’ailleurs, l'approche n'en est pas inintéressante :

    - une entrée par l’individuel

    - une histoire des mœurs,

    - une attention au peuple.


    MAIS...

    1° Le CE2, c'est TRÈS tard !

    Il faudrait commencer au moins au CE1, voire au CP (et même en GS, de manière très souple). En fait, on pourrait reprendre mot pour mot la formulation du programme pour des programmes de GS-CP.

    À titre de comparaison, rappelons le programme d’histoire de 1882 pour la « classe enfantine » (5-7 ans) :

    Anecdotes, récits, biographies tirées de l’histoire nationale ; contes, récits de voyage. Explication d’images.

    Il suffit de fréquenter des enfants de 5 à 7 ans pour connaître leur capacité à s’intéresser au passé le plus ancien. Même constat, si l’on jette un œil à l’édition pour la jeunesse, qui regorge de titres historiques dès le plus jeune âge.

     

    2° La ration risque d’être bien maigre.

    Le programme insiste sur le mot « quelques », faisant ainsi courir un double risque :

    celui que les « quelques grands faits de quelques périodes historiques » fassent l’objet d’une poignée de leçon étalées sur l’année, entrecoupées de très larges périodes sans en parler ;

    celui de se contenter d’aborder cette « comparaison » des modes de vie du passé sur une ou deux « séquences » isolées, de manière « massée », comme on dit dans notre jargon.

    C’est actuellement ce qui se fait dans les classes. Dans les deux cas, on ne peut pas parler d’un véritable enseignement sur les sociétés du passé.

    Or, il en faut bien davantage pour commencer à faire structurer et peupler l’imagination historique des élèves, sans laquelle une réflexion plus conceptuelle ne pourra pas produire de fruits durables dans leur esprit.

     

    3° Trop peu d’histoires pour des « petits » !

    « Quelques grands faits », c’est bien peu explicite. Ainsi décrits, ils peuvent aussi bien être descriptifs que narratifs, voire conceptuels. On pourra parler de tout et n’importe quoi, et le risque est de minorer la part narrative de l’enseignement historique.

    Les petits aiment les histoires. Ça tombe bien ! L’Histoire fourmille d’anecdotes, de récits pittoresques et curieux. Ils peuvent faire l’objet de brefs récits magistraux, aidés du mime et de l’image, et de conversations de classe pleines de vivacité.

    La formulation de 1882 est donc à méditer. Parler de « personnages », c’est plus que souhaitable. Mais cela ne doit pas empêcher de raconter des histoires aux petits.

    Dans ce contexte, comment ne pas encourager à leur rapporter ces récits sur l’histoire que sont les « légendes » ? Souvent erronés, elles participent cependant de la connaissance historique. Elles marquent l’imagination. Elles forment le terreau et le premier terrain de jeu de la réflexion historique.

     

    4° À bas les « grands hommes » ?

    Selon les nouveaux programmes, il ne faudrait évoquer que des personnages génériques : « un paysan, un artisan, un ouvrier, un soldat ». L’accent est mis, et c’est heureux, sur des anonymes qui représentent un groupe social.

    Seulement, pourquoi ne pas évoquer aussi les hommes qui « se sont fait un nom » dans l’Histoire ? En quoi sont-ils moins représentatifs de leur époque et de leur groupe social.

    Il y a un danger à ne parler que des « puissants ». Pour autant, leur éviction a quelque chose de radical.

    En outre, ils forment des repères bien pratique pour commencer à structurer une pensée chronologique, grâce à la chronologie relative. Cela se passe-t-il avant l’époque d’Alexandre, à celle de Bouddha ou après celle de Louis XIV ? Il serait bien difficile de réfléchir ainsi avec notre exemple de paysan du Moyen-Âge, qui ne vit finalement pas si différemment du paysan du « Grand-Siècle ».

     

    Quid des civilisations passées ?

    Se focaliser sur des personnages, c’est très bien. Mais il ne faudrait pas oublier de parler des différentes civilisations du passé. Celles-ci sont abordables dès 5 ans. Elles forment le décor de bien des jeux enfantins.

    Parlez à des petits élèves des chevaliers du Moyen-Âge, et vous les verrez en récréation courir les uns vers les autres dans de spectaculaires tournois ! Idem avec les Romains, les Grecs, les Égyptiens, les hommes de Cro-Magnon. Les dessins des petits, leur moyen d’expression principal, se peupleront de pyramides, de pilums et de galères.

    Il est bien sûr exclu de faire un cours complet sur l’agriculture nilotique ou sur la structure de l’État chinois. Mais il ne faut pas hésiter à s’attarder un moment sur des détails emblématiques qui permettent d’aborder ces faits historiques plus larges et plus complexes : une silhouette de paysan, un terrain limoneux, un mandarin en pleine discussion, un messager impérial, etc.

    Cela peut-être fait assez facilement, soit à l’occasion d’une discussion sur un personnage du passé, soit en observant une belle illustration synthétique, comme on en trouve encore dans les livres pour enfants.

    L’accent serait mis sur les civilisations les plus pittoresques, susceptibles de laisser le plus de traces dans la mémoire. Souvent, ce sont les sociétés les plus anciennes et les plus lointaines qui sont les plus parlantes. Mais il n’y a pas d’exclusive à imposer.

     

    6° Le proche n’est pas le plus simple.

    Les programmes vont du proche au lointain. Sans doute pense-t-on que l’environnement immédiat est plus simple à étudier que le passé lointain. Il faudrait partir de ce qui touche l’enfant, c’est-à-dire lui-même, sa famille, les événements de la vie quotidienne et les traces du passé dans sa ville.

    Cette progression est légitime mais beaucoup trop exclusive. Il faut la doubler d’une progression inverse, qui présente dès le départ un grand nombre de civilisations et de faits historiques anciens.

    En effet, le passé des hommes touche tout aussi bien les petits, par ce qu’ils comportent d’aventures, de lutte contre l’adversité naturelle ou sociale. Ils se voient eux-mêmes dans l’homme de Cro-Magnon ou dans la princesse inca.

     

    7° Les savoirs après les savoir-faire ?

    Au contraire, le temps proche est parfois compliqué à débrouiller. Pour expliquer les traces du passé dans la vie de l’enfant ou dans sa ville, il faut déjà l’embryon d’une méthode historique. Surtout, il faut les capacités d’imagination suffisantes pour recréer les faits passés à partir des traces qu’il a laissées.

    Or, cette imagination n’existe que si elle est nourrie de connaissances et d’images suffisamment nombreuses. L’enseignement de faits historiques serait donc, sinon un préalable, du moins un enseignement complémentaire à la « découverte du monde » proche.

    Le choix de mettre en place des méthodes et les outils de la réflexion historique avant de nourrir la culture historique est donc une erreur. Le travail sur la « construction historique » et sur les « frises chronologiques » se fera bien plus efficacement si les élèves ont en tête des images nombreuses et variées du passé.

     

    8° Ne voir qu’une fois chaque fait historique ?

    Aborder plus tôt ces grands faits historiques, c’est se laisser la possibilité de les revoir. Les connaissances pourront être remobilisées de manière différée, ce qu’on sait être une des conditions de mémorisation des savoirs.

    Avec les programmes actuels, un élève peut sortir du cycle 3 en ayant vu une seule fois la Mésopotamie. Avec des programmes plus précoces et au contenu plus riche, il peut en parler deux, voir trois fois !

    On peut ainsi répartir la difficulté et l’apport d’information sur plusieurs années et construire peu à peu des images et des concepts véritablement intégrés. C’est à cette condition que l’on pourra établir un véritable « curriculum en spirale » en histoire.

     

    ***

     

    N’ayons pas peur de parler du passé lointain aux plus petits ! Ils n’attendent que cela. Attendre le CE2, dans des quantités aussi limitées, c’est les priver d’une nourriture intellectuelle essentielle pour eux.

    Cet enseignement est parfaitement interdisciplinaire, puisqu’il permet d’évoquer pour la première fois des pays autres que la France, de parler de la faune et de la flore, des histoires et des personnages qui irriguent la littérature... Rien de contradictoire donc avec l’intitulé « découverte du monde », usuel en cycle 2, qui ne portera bien son nom qu’en incluant aussi le passé et le lointain.

    Il faut donc réécrire cette partie des programmes. Sinon, les mêmes causes produisant les mêmes effets, les élèves arriveront en cycle 4 avec un imaginaire historique étique et des compétences historiques non assimilées.

     


  • Commentaires

    1
    Dimanche 14 Juin 2015 à 20:58
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