• Interpréter un texte

    La Pyhtie

    La Pythie et ses interprètes

    S'il y a bien une chose qui trouble des élèves de lycée, c'est de savoir ce qu'il faut dire à propos des textes qui sont soumis à leur réflexion pendant le cours de littérature.

    Ils tentent parfois de chercher une figure de style, un champ lexical, ou se cantonnent à de la paraphrase.

    C'est qu'on ne leur a jamais dit ce qu'on pouvait dire des textes. On le leur a montré à maintes reprises, lors de cours magistraux, on les a fait participer à la recherche d'un tel propos lors de cours dialogués, on a pu même la leur faire pratiquer, seuls ou en groupe, dans ce qui s'apparente à des séances de travaux pratiques.

    Mais, en supposant qu'ils aient la culture nécessaire, et l'intuition que seule une pratique régulière de la lecture peut apporter, ils manqueraient encore d'une attitude réflexive qui leur permettrait de faire retour sur ces années de pratique, à l'école ou chez eux.

    Il est en effet utile de savoir en gros ce qu'il est possible de dire sur un texte. Ce n'est pas cela qui fait trouver des idées. Mais en rangeant dans un second temps ces idées dans quelques catégories, même grossières, on se donne la possibilité de les développer, et surtout de ne pas oublier certains aspects essentiels du texte étudié.

     

    Ainsi, il n'est pas rare que les élèves oublient complètement d'interpréter tout ou partie du texte.

    Par "interpréter", j'entends se demander pourquoi c'est ce texte précis, et non un autre, écrit de cette manière, et non d'une autre, qui prend place à cet endroit précis de l'œuvre.

    Très souvent, au lieu de se poser la questions des raisons qui justifie l'existence spécifique d'un texte, les élèves se réfugient dans l'inventaire de ses modalités d'écriture. Il est en effet plus rassurant de relever quelques procédés déjà vus en cours. Il s'agit de mettre en œuvre des techniques éprouvées, ou censées l'être, qui ont été apprises, révisées et auxquelles on s'est parfois exercé.

    Le problème est qu'une somme de procédés n'a jamais fait une œuvre et qu'on ne peut se passer de prendre en compte ses finalités. De même, à ne faire que relever des éléments techniques, les élèves en oublient le simple bon sens, point commun qui les relie à l'auteur de l'œuvre et les réunit dans la communauté des lecteurs, cet instinct de lecteur et d'être humain sur lequel compte l'auteur pour mettre en place ses effets. 

     

    Mais l'injonction de dire pourquoi un texte a été écrit comme il est écrit a quelque chose de paralysant. Cette question paraît si évidente qu'on se sent bien bête de ne pas trouver immédiatement la réponse.

    Les professeurs de français sont coutumiers des réponses excessivement prosaïques que font les élèves à cette question. Il n'est pas rare de s'entendre dire que les auteurs ont écrit ainsi pour l'argent, pour la gloire. Ou alors, l'élève a recours aux mystères de l'inspiration, et la question lapidaire du "Pourquoi ?" ne reçoit alors comme réponse qu'un sibyllin "Parce que."

     

    Il faut, me semble-t-il, spécifier quelque peu ce qu'on entend par interpréter un texte. Pour cela, j'ai élaboré un tableau qui met en forme les quatre grands types d'interprétation qu'on peut envisager face à un texte.

     

     

    Grâce à lui, l'élève peut vérifier qu'il n'a pas oublié de parler d'un aspect important du texte. On peut d'ailleurs appliquer cette grille a l'usage d'un mot, d'une phrase, d'une figure de style, d'une composition particulière, etc.

    1. Le texte a un rôle dans l'œuvre

    S'agit-il d'exposer l'intrigue, de la conclure, de ménager une pause, de rappeler un autre épisode ?

    2. Le texte provoque un effet sur le lecteur

    Fait-il rire, pleurer, frémir ? Suscite-t-il l'admiration, la terreur, la pitié, la répulsion ou l'exaltation ?

    (Il s'agit finalement de réfléchir à ce qu'on appelait il y a peu des "registres", mais de manière moins techniciste, en les reliant à l'expérience de lecture, celle qu'a eu l'élève ou celle qu'il sent qu'on lui demande d'avoir.)

    3. Le texte propose un jugement des personnages et des actes.

    Faut-il admirer, mépriser, louer, blâmer, s'identifier ? Rodrigue a-t-il eu raison de préférer suivre sa gloire que son amour ?

    4. Le texte permet une réflexion sur un thème.

    Que dit-on de l'honneur, de la guerre, du péché, de l'amour ?

     

    On le voit, ces grandes catégories sont poreuses, et il ne s'agit pas d'enfermer la réflexion dans l'une ou l'autre, au risque de ne pas voir, par exemple, que l'admiration des actes d'un personnage est à la fois un effet du texte sur le lecteur, la formulation d'un jugement et le fruit d'une réflexion morale ou esthétique.

    On proscrira aussi une utilisation sclérosée d'un tel tableau, consistant à s'exercer de manière répétitive à identifier à quelle catégorie d'interprétation appartient telle ou telle idée.

    Il suffira d'afficher ce tableau en classe et de faire suivre certaines des réflexions faites en cours par une interrogation sur leur nature. On peut imaginer aussi de développer une analyse plus technique proposée par un élève ou menée collectivement lors du cours dialogué en demandant comment on peut interpréter un métaphore, la longueur d'une réplique ou une intervention du narrateur dans le récit.

    Il s'agit donc d'un aide-mémoire et d'un outil de "déblocage" de la pensée, davantage que d'une procédure automatisée qui dispenserait les élèves de penser par eux-mêmes et d'interroger leur expérience de lecture par rapport au texte. 


  • Commentaires

    1
    Samedi 21 Février 2015 à 18:09

    Intéressant. Cependant, j'aurais tendance à simplifier : le rôle dans l'œuvre m'intéresse assez peu, et la jugement sur les personnages ou leurs actes (ce qui est très important et que nous négligeons probablement trop) me paraît rentrer dans la dernière catégorie. Au fond, j'en resterais à l'effet produit sur le lecteur, lequel effet peut être l'émotion, le rire, la réflexion. Mais je vais réfléchir à ton classement.

    2
    Lundi 23 Février 2015 à 14:11

    Je n'aime pas trop parler d'effet sans préciser. Le fait de distinguer ces quatre types d'interprétation permet de trouver des pistes de réflexion quand on est bloqué.

    Mais il est vrai qu'elles sont le plus souvent mélangées dans les textes que l'on étudie.

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