• Remplacer, déplacer, supprimer (la grammaire)

     

    Élève cherchant un COD dans une phrase simple.

     

    Je l'ai dit plusieurs fois sur ce blog : la grammaire telle qu'elle est enseignée depuis 40 ans n'est en fait pas enseignable à nos élèves. En remplaçant la terminologie "traditionnelle" par une autre, plus moderne, on a non seulement dévitalisé un enseignement utile, mais on l'a remplacé par un enseignement à la fois impossible et inutile. C'est néanmoins cette grammaire qui va être reconduite dans les nouveaux programmes de 2016... 

    C'est surtout le remplacement de critères de reconnaissance mêlant le sens et la syntaxe par des "critères de distribution" (remplacement, déplacement, suppression, etc.) qui pose et posera encore problème. 

    Je me propose de montrer à travers l'exemple du COD que ces critères sont à la fois impossibles à mettre en oeuvre et inutiles pour les élèves. 

     

    "Fausses manip." et surcharge cognitive

    Voici ce qu'on peut trouver sur internet quand on cherche un cours sur le COD pour le niveau primaire :  

     

    CE QUE JE DOIS SAVOIR

    Le Complément d'Objet Direct est un complément de verbe.

    C'est un complément essentiel.

    Salima recoud le salouva.

     Caractéristiques et critères de reconnaissance

    – On ne peut pas le supprimer

    Salima recoud

    – On ne peut pas le déplacer

    Le salouva, Salima recoud.

    – À la voix passive, il devient sujet

    Le salouva est recousu par Salima.

    – On peut le pronominaliser

    Salima le recoud.

    Il en possède

    – Il n'est pas séparé par une préposition

    On dit qu'il est direct.

    – Il accompagne les verbes d'action et jamais les verbes d'état

     

    Il faut prendre la mesure de la somme d'informations que l'élève doit retenir dans sa mémoire à court-terme (qui retient peu ou prou 7 informations à la fois) : 

    - le groupe de mot à analyser (1 information)

    - la liste des critères permettant de reconnaître le COD. Certains d'entre eux supposent la connaissance d'autres notions grammaticales (le passif, le sujet, le pronom, verbe d'action et verbe d'état). (6+5 informations au maximum)

    - d'autres critères de reconnaissance, non valables pour le COD. Si le COD doit être reconnu par l'application de critères, il faudra obligatoirement utiliser des critères non pertinents, pour ensuite les écarter. Ou alors, c'est que le COD a déjà été reconnu par d'autres voies, et qu'il suffit de confirmer cette fonction, ce qui rend inutiles les critères ci-dessus. (encore des informations)

    Ajoutons à cela l'usage des couples de critères opposés (déplaçable/non déplaçable, par exemple), qui font obligatoirement l'objet de confusion, et la nature manipulatoire de ces critères, qui accentue l'impression que tout est possible. Pourquoi "non déplaçable" et pas "déplaçable", après tout ? Parce que c'est le professeur qui le dit... 

    La mémoire à court terme est depuis longtemps submergée. Il est impossible qu'un élève s'en sorte vraiment, à moins d'avoir intégré de manière très rapide ces critères dans sa mémoire à long terme (la mémoire sémantique).

    De fait, tous les élèves que je rencontre se mélangent les pinceaux. La plupart se rabat sur des critères bien plus simples, et très peu fiables. Le COD, c'est ce qui répond à la question "quoi ?" et ce qui se trouve après le verbe. Ainsi, "Dans les champs paissent les troupeaux", "les troupeaux" est COD !

     

    Une méthode simple et progressive

    En revanche, si l'on s'attarde sur le sens des mots et les liens qui les unissent, on peut identifier un COD sans excéder les capacités de la mémoire de travail des élèves.

    Première étape : faire comprendre que tout mot dans la proposition "se rapporte" à un autre mot, et à un seul. On peut s'aider pour cela de flèches reliant un mot à un autre. Il suffit de prendre le mot, accompagné de ses adjectifs, articles ou adverbes, et de le faire suivre les autres groupes de mots qui composent la proposition. C'est le sens qui décidera de la validité du "rapport" ainsi décelé.

    Deuxième étape : introduire la notion de complément de mot, qui n'est qu'une manière de préciser le sens du rapport précédemment décelé. "Compléter" un mot, c'est relier la chose ou l'action désignée par celui-ci à quelque chose d'autre. C'est faire le lien entre deux objets ou actions du monde. Personnellement, je fais faire le geste de cogner un poing contre l'autre, ce qui aide à s'approprier intuitivement cette vision logique et référentielle de la proposition. 

    Remplacer, déplacer, supprimer (la grammaire)

    Troisième étape : quand le mot complète un verbe, préciser son sens, en commençant toujours par chercher s'il désigne l'objet de l'action exprimée par le verbe. Ainsi défini, l'objet se rapporte obligatoirement à un verbe d'action : l'élève n'a même pas à se poser cette question.

    Quatrième étape : vérifier si cet objet est introduit par une préposition. 

    Ces quatre étapes sont faciles à retenir, n'excèdent pas les capacités de la mémoire de travail parce qu'elles ne sont pas simultanées. Plusieurs semaines, voire plusieurs mois doivent être consacrés à passer de la perception des rapports entre les mots à la reconnaissance spécifique du COD du verbe. À chaque étape, les critères sont simples et font toujours intervenir le sens des mots. À aucun moment l'élève n'a à se démener avec une liste de critères qui se ressemblent tous. 

     

    Grammaire utile et grammaire inutile

    Cette méthode, très inspirée des travaux de Cécile Revéret, s'oppose point par point à la méthode dominante dans les écoles et les collèges. Surtout, elle rend l'analyse grammaticale utile.

    À quoi sert en effet de savoir si un mot est COD, parce qu'on se rend compte qu'on ne peut pas le supprimer, ni le déplacer, etc. ? Utiliser ces critères revient à enlever tout intérêt à l'identification du COD. Cette fonction devient une étiquette totalement dénuée d'intérêt.

    On comprend pourquoi les nouveaux programmes de français en repoussent l'étude en 5e (!) : non seulement elle est impossible, mais elle n'a même pas d'utilité orthographique, si l'on adopte une méthode plus intuitive pour accorder les participes passés (ce qui est une bonne chose). 

    Pourquoi alors conserver l'étude du COD, même en 5e ? Sans doute n'a-t-on pas le courage de supprimer ce totem de l'école traditionnelle. 

    À mon sens, c'est surtout à cause de la parenté qui existe entre ces exercices de manipulations et la manipulation de la langue dans le cadre des exercices de rédaction. Supprimer, déplacer, remplacer : voilà un programme séduisant pour qui veut apprendre à rédiger !

    Le problème est que ces manipulations ne reposent pas sur des critères sémantique (le choix du bon mot pour exprimer l'idée juste) et stylistique (un ordre des mots expressif et significatif). Au contraire : cette grammaire manipulatoire crée le sentiment que tout se vaut, que n'importe quel mot peut remplacer n'importe quel autre mot. Le relativisme syntaxique et sémantique est l'ennemi absolu de toute recherche de précision et d'expressivité sur le plan de l'écriture !

    Au contraire, une grammaire à la fois syntaxique et sémantique contribue à éduquer l'attention au choix des mots et à leur ordre. C'est le terreau sur lequel peut pousser le talent et le goût pour l'écriture. 

     

     

     

     


  • Commentaires

    1
    Mercredi 20 Mai 2015 à 23:04

    Oui. Et j'aime rappeler aussi que c'est parce qu'on a reconnu par son sens qu'un complément était l'objet d'un verbe qu'on sait qu'on ne peut le détacher par une virgule, et non le contraire.

    Un des effets des méthodes actuelles, qui refusent que le mot «objet» ait un sens, parce que selon elles, l'analyse devrait être toujours détachée du sens, qui relève trop de l'intuition, c'est que les élèves placent souvent une virgule entre le verbe et son objet. "Le COD, c'est le complément qu'on ne peut détacher du verbe ?" "Ah, bah, ce n'est pas un COD : regarde, si je veux, je mets une virgule".

    2
    Vendredi 22 Mai 2015 à 11:06

    Tout à fait. La devise de cette grammaire, c'est : "Mais on peut."

    3
    Samedi 30 Mai 2015 à 07:55

    Merci, Pierre. Très convaincant !

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