• Pas de besoin de beaucoup de commentaire cette fois-ci.

    Un dessin pour identifier la personne.

    Il suffit de dire l'importance de distinguer les trois personnes selon leur place dans la situation de communication. Il faut bien indiquer que cette distinction est valable au pluriel : "nous" inclut toujours au moins un locuteur, "vous" un destinataire de la parole et "ils" un objet de cette parole.

    Bien insister aussi sur le "dont on parle" qui contribue, à force de rabâchage, à rendre familier l'usage de ce pronom relatif peu utilisé en temps ordinaire.

     

    Ah oui ! Il faut indiquer aussi qu'il est logique que l'ordre de ces personnes soit celui-là. Pour qu'il y ait une parole, il faut d'abord une personne qui parle, ensuite une personne à qui l'on parle, et enfin une personne dont on parle.


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    Professeurs tâchant de mener un projet interdisciplinaire danse / astronomie.

     

    La réforme du collège annonce à grands renforts de trompettes victorieuses et de violons sanglotants l'imminence du mariage entre les matières, que certains ont tellement attendu.

    Avec les EPI (Enseignements Pratiques Interdisciplinaires), on aurait enfin trouvé le moyen de faire se rencontrer ces recluses, séquestrées depuis des décennies par des familles académiques jalouses de leur nom et de leur blason. 

    Les EPI seraient le balcon où pourraient se rencontrer nos modernes Roméo et Juliette. Certes, on aura un peu pris sur les cuisines et la chambre à coucher pour l'édifier, mais de loin, le spectacle sera vraiment splendide. 

    Nous sommes désolés de devoir gâcher un si touchant tableau. 

     

    En effet, les thèmes imposés pour ces EPI, au nombre de huit, doivent tous avoir été traités entre la 5e et la 3e. Comment serait-ce possible sans introduire une bonne dose de contrainte dans la formation des équipes de professeurs en charge de chaque EPI, dans l'attribution de ces EPI aux élèves et dans le choix des sujets retenus pour chaque projet ?

    Si on laisse faire la pente naturelle des élèves, à savoir choisir des sujets qui leur plaisent et des professeurs qu'ils aiment, si on laisse faire les professeurs, qui se regrouperont majoritairement par matières proches et selon les affinités personnelles et pédagogiques, on laissera de côté des matières mal aimées, des professeurs rebutés et des élèves en proie au chagrin d'amour. Ne parlons pas des professeurs forcés de rentrer dans une parade amoureuse qui les refroidit, eux qui aiment tant leurs cours et leurs leçons disciplinaires : ils feront de bien piètres amants. 

    La promesse d'une épiphanie amoureuse du travail, d'une fête de la connaissance, s'efface donc devant la perspective des petits matins blêmes. Les souvenirs pâliront quand il faudra évaluer et noter les travaux accomplis au brevet des collèges. 

     

    Il y avait pourtant matière à véritablement favoriser l'interdisciplinarité, non pas en forçant la main des plus réticents, mais en repensant les programmes disciplinaires afin de multiplier les points de rencontre entre les matières. Actuellement, le manque de cohérence est criant. Pour des programmes de littérature et d'histoire relativement synchrones (au prix de sacrifices cuisants en français : quid du XVIIIe siècle, porté disparu de la classe de 4e depuis 2008 ?), combien de malentendus, d'occasions gâchées, entre les matières scientifiques, technologiques et mathématiques, entre ces mêmes mathématiques et la géographie, entre le dessin et la géométrie ?

    Plutôt que d'instituer un mariage forcé entre les matières, sur un balcon qui sentira vite la soupe froide, organisons de multiples rendez-vous galants, de petites collations sentimentales, plus ou moins longues, plus ou moins intenses ! La souplesse garantira la fraîcheur du sentiment. Les plus ardents adorateurs de l'interdisciplinarité pourront multiplier les ébats et les partenaires.

    Pendant les horaires habituels de deux matières, deux professeurs pourraient s'emparer d'un même objet ou d'un même thème, lié à leur programme, sans craindre d'être pris par le temps, sans empêcher le reste de leur vie disciplinaire de se dérouler à son propre rythme. Faisons le pari que de plus en plus d'enseignants se prendront au jeu, et pourront s'investir dans des projets qui débouchent sur des réalisations pratiques. Le fait de ne pas y être obligé, d'avoir le temps, de le faire par amour pour sa matière et par goût de la découverte, voilà des moyens de convaincre les réticents !

    Et pourquoi ne pas instituer une ou deux heures supplémentaires dans les emploi du temps, de petits cinq à sept pour prolonger le plaisir de la rencontre et éponger la perte de temps inhérente aux aspects pratiques et organisationnels de la pédagogie par projet.

    Et de grâce, supprimons les thèmes imposés, véritables tue-l'amour, qui brident l'inventivité et referme d'un coup sec l'éventail des possibles sur les doigts des amants !

     

    La réforme du collège et la création des EPI semble donc devoir produire l'inverse de l'effet escompté. Les amateurs de projets n'en feront pas plus et devront couler les leurs dans un cadre temporel, thématique et organisationnel rigide. Ceux qui y rechignent n'auront pas l'occasion d'y goûter sans avoir l'impression d'y être forcés. 

    Et tout cela à cause d'un manque d'amour pour les disciplines, de la croyance que la pédagogie est davantage entravée que favorisée par l'existence de domaines de savoir distincts ! Les EPI sont de modernes androgynes, où le pluriel ne forme plus qu'un, rendant impossible la naissance du désir.

    Pour aimer, il faut être deux. Pour faire naître l'harmonie, il faut deux mélodies. Construisons donc de véritables programmes disciplinaires, c'est-à-dire interdisciplinaires. Au lieu d'un chaos sans harmonie où tout est dans tout, rendons possibles, en pédagogie, la fugue et le contrepoint, remettons au goût du jour la magie des accords, mineurs et majeurs. 

     

     


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    Ouhhhh ! le vilain enseignement purement disciplinaire d'autrefois !!!

     

    Les EPI sont la grande nouveauté de la réforme du collège annoncée par la ministre Najat Valaud-Belkacem. Ces Enseignements Pratiques Interdisciplinaires sont des créneaux horaires spécifiquement consacrés à des "projets pratiques" conçus et éventuellement animés par plusieurs professeurs de matières différentes.

    Si l'on a voulu introduire ce "20 % interdisciplinaire", c'est qu'on juge en haut lieu que le collège actuel manque d'interdisciplinarité, engoncé qu'il est dans un cadre purement disciplinaire. Selon certains, les élèves débarqueraient en 6e dans un monde déstabilisant, aux horaires fractionnés, aux frontières intellectuelles hermétiquement closes.

    Cette vision des choses repose sur l'oubli de l'interdisciplinarité essentielle aux matières telles que définies à l'origine. Une discipline constituée est rarement à l'état pur, surtout à l'école. En tout cas, ce ne fut pas le cas jusque dans les années 70. En primaire, le français était étroitement lié aux leçons de choses. Au lycée, langues anciennes, histoire littéraire et histoire se mêlaient jusque dans les sujets de bac. Dans les Écoles Primaires Supérieures, puis dans les Cours complémentaires, les mathématiques se pratiquaient dans des exercices d'arpentage. Autant de preuves que l'enseignement des disciplines n'est pas forcément synonyme de cloisonnement intellectuel.

    Ou plutôt, il ne l'était pas jusqu'aux réformes des années 70, moment où les matières se sont spécialisées. On pense aux "maths modernes" et au rejet des unités de mesure dans la pratique du calcul, qui a contribué à séparer inexorablement les mathématiques et la physique. On pense à la minoration de la pratique du dessin géométrique, clef de voûte à la fois de l'enseignement de la géométrie et de celui du dessin. Le rejet de l'histoire littéraire de Gustave Lanson a séparé les lettres de l'histoire : le vocabulaire technique du structuralisme, de la linguistique et de la narratologie font du cours de français un cours à part. Sans doute y a-t-il là une sorte d'orgueil revanchard de la part d'enseignants du secondaire lorgnant vers les hautes sphères universitaires, où l'air est forcément plus pur.

    Et aujourd'hui, au lieu de revenir sur cette longue agonie de l'interdisciplinarité interne aux disciplines, on préfère réparer les dégâts par l'ajout d'une interdisciplinarité externe. C'est que l'on ne pense actuellement l'interdisciplinarité que liée avec la notion de "projet". Seule la pratique conjointe de deux matières, dans un cadre temporellement limité, et hors de toute idée de programme et de progression, semble pouvoir recevoir l'appellation "d'interdisciplinarité".

    Les EPI : une OPA de la pédagogie par projet sur le concept d'interdisciplinarité.

    Tout cela au moment où certaines matières font leur aggiornamento et assument leur impureté constitutive. C'est le cas de l'histoire, où la didactique contemporaine préconise le recours systématique à l'activité d'écriture narrative, dans la lignée des travaux de Didier Cariou notamment. En histoire, on fait raconter, décrire, expliquer à l'écrit, et c'est comme cela qu'on fait apprendre des connaissances et des savoir-faire proprement historiques. En lettres, le technicisme est proscrit en théorie (bien que très présent dans la pratique) : il faut faire acquérir aux élèves des habitudes de "lecture littéraire", plus subjective et moins jargonnante.

    Les EPI entérinent donc la mort d'une forme d'interdisciplinarité, interne. Ils empêchent dans le même mouvement de remettre en cause le fractionnement des disciplines, contemporain des réformes pédagogiques modernistes. À contre-courant de l'histoire, continuons à enseigner de manière technicienne des matières étiques : les EPI feront le lien, 20 % du temps ! Alors qu'une vraie interdisciplinarité devrait occuper bien plus qu'un cinquième des horaires et devrait être intégrée bien plus intimement aux matières et au travail quotidien des élèves. L'externalisation et la sous-traitance de l'interdisciplinarité est une manière de scinder l'activité intellectuelle en deux, la rendant presque impossible. Voici venu le temps du manichéisme intellectuel.

    Il faut donc se dresser contre cette mesure, qui dévitalise l'enseignement des matières, ou plutôt, ôte tout espoir de les revitaliser un jour. Notre liberté pédagogique devrait nous permettre de faire cours de manière interdisciplinaire dans le cadre de notre matière. Moi, prof de français, je veux enseigner le français de manière interdisciplinaire !

    Mais, pour cela, il faut d'abord repenser des programmes cohérents entre eux et assumant leur impureté constitutive.

    Par exemple, le cours de français est le lieu rêvé pour faire de l'histoire culturelle : celle des pratiques et des représentations de l'écriture et de la lecture, de la sociabilité et de l'économie littéraire. La littérature du passé est aussi un formidable terrain d'application pour les connaissances d'histoire économique, d'histoire sociale, d'histoire des mœurs apprises en cours d'histoire. Elle est aussi son allié et son prolongement naturel : là où les professeurs d'histoire ne peuvent pas tout le temps rentrer dans le détail, pressés qu'ils sont par l'immensité de leur sujet, le français peut faire réfléchir sur la manière de vivre et de penser des hommes du passé.

    Plutôt que de faire un projet maths et géographie dans le cadre des EPI, remettons l'enseignement des éléments mathématiques de la cartographie aux programmes de l'école primaire. Au lieu de mêler une fois de temps en temps le calcul et les sciences physiques, "remathématisons" l'enseignement des sciences physiques. Au lieu de lorgner du côté de PISA pour faire de faux problèmes ouverts soi-disant en lien avec la vie quotidienne, proposons des problèmes mathématiques mettant en œuvre les unités de mesure dans un cadre scientifique.

    C'est ainsi que l'on pourra combattre ce projet de division du travail entre des cours disciplinaires fermés et des EPI ouverts.

    De tels programmes serait d'ailleurs susceptibles, tout naturellement, de susciter la collaboration des professeurs de différentes matières. Pourquoi ne pas travailler ensemble quand les programmes vont si évidemment dans le même sens ? Le travail d'équipe ne serait pas imposé par une répartition pré-établie, mais encouragé, rendu presque incontournable, à tous les niveaux et dans tous les cours.

    Des conseils d'enseignements réguliers, et rémunérés, pourraient être prévus, permettant de voir où et quand des convergences peuvent être faites. Les élèves pourraient par exemple travailler en même temps en histoire et en français sur une œuvre de l'Antiquité. Pas besoin de "co-animation" pour cela. Il suffit de se mettre d'accord de manière formelle ou informelle pour passer quelques heures ou quelques semaines à une découverte commune. Rien n'interdit d'ailleurs que ce travail prenne la forme d'un "projet pratique".

    Il ne faut donc pas s'appuyer sur le système actuel pour justifier le rejet des EPI et de la réforme du collège. Les EPI sont l'aboutissement d'une transformation déjà ancienne de la manière de construire les programmes et de percevoir l'identité des disciplines scolaires. Elles sont le prolongement du collège, ce "petit lycée bourgeois", et la justification du statu quo. Il n'y a pas lieu de jouer les disciplines contre interdisciplinarité. Il faut réclamer l'expression libre et collective de l'interdisciplinarité dans les disciplines, dans le cadre de véritables programmes riches, cohérents et progressifs.


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    Et maintenant, un Proust 1913. La structure d'un Balzac, des notes de Flaubert et des Mille et une nuits. Un bon cru.

     

    Le déficit culturel des pratiques de lecture actuelles

    Les "lectures cursives" sont ancrées dans les mœurs depuis longtemps. On donne des livres à lire à la maison : il faut les faire acheter en librairie ou bien en distribuer une "série" issue des fonds du collège. Puis : fiches de lecture, exposés, leçon de synthèse, choix d’extraits à lire qu’il faut justifier, revues critiques... Tout est bon pour faire parler et faire réfléchir sur ce qui aura été lu. Mais surtout, que cela ne prenne pas trop de temps ! Il ne faut pas empiéter sur les "séquences" d'étude d’une "œuvre intégrale" ou bien d’un "groupement de textes".

    Le problème est qu’on ne peut pas le faire de trop nombreuses fois. Il faut avoir un sacré pouvoir de conviction et d’entraînement pour faire lire davantage que les trois œuvres intégrales et les trois lectures cursives exigées par les programmes de français actuels. Mais alors, quel manque pour la culture des élèves ! Quelles lacunes dans leurs connaissances des genres, des univers de fiction, des époques, des styles et des finalités de la littérature !

    Le manque à gagner est d’autant plus important que la mode veut que l’on réserve les créneaux de lecture cursive à des œuvres contemporaines ou à de la littérature de jeunesse. Il s’agit de "donner le goût de lire" : la dimension "patrimoniale" du programme de littérature est cantonnée à la classe, et la "lecture-plaisir" est censée occuper la place laissée libre, celle de la maison et des loisirs.

    On cautionne ainsi la distinction entre une littérature scolaire, celle des fameux "classiques", et une littérature non scolaire. Ce n’est pas là la meilleure manière de faire saisir aux élèves la vitalité de ces classiques. C’est aussi une manière parfois assez contre-productive de coloniser leur temps libre en lui ajoutant des contraintes, qui plus est quand la lecture ainsi exigée est suivie d'une note.

    Cependant, assommer les élèves d’une suite de textes classiques illisibles n’est pas une solution. La plupart d'entre eux a besoin de la médiation de l’enseignant, et cela jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire, tant leurs capacités de lecture autonome sont faibles. Le comble est atteint quand ce sont les parents d’élèves qui s’inquiètent, souvent légitimement, des lectures de leur enfant, exigeant qui des listes de "classiques" afin de le préparer à la suite de leurs études, qui des propositions de lectures correspondant à leurs goûts. L’intervention des parents dans ses affaires délicates est rarement d’une efficacité durable auprès de leur progéniture adolescente.

    Dans un article récent, j’ai proposé de remettre au goût du jour les recueils de longs morceaux choisis qui ont accompagné les élèves de l’école primaire des années 30 aux années 70. Il s’agit d’extraits longs (jusqu’à une quinzaine de pages), chapitrés pour permettre une lecture discontinue, annotés et élagués pour en faciliter la compréhension. La langue en a été simplifiée, afin de ne pas créer de difficulté insurmontable à la lecture, les rapprochant de la langue contemporaine, celle des œuvres pour la jeunesse notamment. Naturellement, on a évité de trop simplifier pour ne pas perdre l'intérêt lexical, syntaxique et culturel de ces lectures. Surtout, ces extraits sont choisis pour leur intérêt thématique en rapport avec l'âge et les centres d'intérêt des élèves.

    Ces manuels, remplis à ras-bord d’extraits conséquents d’œuvres classiques ou moins classiques, sont le chaînon manquant dans le travail de constitution d’une culture littéraire et d’éducation au plaisir de lire.

    En effet, ils permettent de faire le lien entre les lectures faites en classe et les lectures faites à la maison, entre les classiques et les lectures plus récentes, entre l’extrait court et la lecture intégrale. Je voudrais donner des exemples d’utilisation en classe de ces "lectures longues", caractérisée par sa souplesse et sa diversité. Toutes sont tirées de mon blog "Lectures choisies", sur lequel se trouvent des extraits numérisés depuis à partir de manuels anciens ou d'adaptations pour la jeunesse, et d'autres conçus par mes soins, dans le même esprit .

     

    Des lectures complémentaires

    Tout d’abord, un long morceaux choisi est lu rapidement. On peut le donner à lire d’une semaine sur l’autre, et éventuellement dans des délais plus courts, au lycée notamment. Il est donc possible d’accompagner, de préparer ou de prolonger la lecture d’une œuvre intégrale par quelques textes servant de points de comparaison. L’étude d'une pièce de Racine trouve avantage à être mise en rapport avec un extrait long d’une tragédie de Shakespeare et le résumé de l'histoire d'Oreste et Électre. Inversement, la lecture cursive d'une dystopie "jeune-adulte" trouvera un écho certain dans celle du passage de Candide en Eldorado.

    Les programmes du lycée de 2008 avait introduit l'idée de "documents complémentaires" qui étaient eux aussi chargés de mettre en perspective les textes étudiés en classe. Malheureusement, ceux-ci, trop courts, sont vite oubliés car ils ne peuvent susciter les mécanismes d'immersion dans la fiction et d'identification avec les personnages qui sont nécessaires pour assurer une véritable mémorisation. En outre, ils ont peu de chance de toucher le cœur et l'esprit des élèves, qui les perçoivent davantage comme les artefacts pédagogiques qu'ils sont que comme des viatiques donnant le goût de la lecture. Les professeurs de lycée sont obligés de les commenter très vite, pris par l'exigence de leur programme, et la complexité naturelle de ces extraits classiques les rend peu compréhensibles de manière autonome par les élèves.

    Les longs morceaux choisis sont idéaux pour jouer ce rôle de "lectures complémentaires". Ils forment de vraies lectures, susceptibles d'être lues avec plaisir ou curiosité. Ils sont abordables par leur langue simplifiée et par leur taille réduite. Ils sont immédiatement mobilisables, si le professeur découvre par exemple une lacune dans la culture littéraire des élèves lors d'une leçon ou d'une conversation.

    Quelques exemples au collège. Pendant un chapitre sur la "Naissance des hommes et des dieux", je fais lire une lecture sur les naissances extraordinaires des dieux grecs, que je prolonge par la naissance extraordinaire de Gargantua. J'ai auparavant intercalé entre le récit de la création du monde et celui de la création des hommes le récit de la guerre des dieux contre les géants ; pour préparer l'étude de La Fontaine, les fables d’Ésope qui ont inspiré les grands classiques du premier livre des Fables (pour remobiliser les lectures faites à l'école primaire). Mon rapide parcours de représentations picturales anciennes des épisodes marquants de l'Iliade trouve son aboutissement dans la lecture d'une lecture centrée sur les rapports d'Achille et Patrocle dans le récit d'Homère. Et cela ad libitum.

    On peut ainsi contourner la difficulté de certaines lectures intégrales (Micromégas en 4e, Voyage au bout de la nuit en 3e), en faisant analyser des extraits courts de ces œuvres, dans leur langue d'origine, en même temps qu'on en fait lire des extraits longs, élagués et simplifiés : la "boucherie" guerrière de la première partie du Voyage et les périples terrestres du géant Micromégas, dont on a ôté les chapitres de dialogue philosophique, inabordables au collège (ce qui n'empêche pas de faire étudier un court extrait de ces dialogues pour en goûter la saveur, avec l'indispensable étayage du professeur).

    Mais ces liens établis entre des lectures cursives (par extrait et intégrales), groupements de textes et œuvres intégrales, ne doivent pas masquer l'éventail de possibilités qu'ouvre aux professeurs le recours aux longs morceaux choisis. En effet, c'est entre ces morceaux choisis eux-mêmes que l'on peut faire découvrir des rapports.

    J'ai ainsi imaginé ce que j'appelle des "fils rouges" qui relient différents extraits entre eux. En 4e, je répartis dans l'année une lecture sur Gargantua, rappel du programme de 5e (souvent, Rabelais est laissé de côté : mes lectures permettent de rattraper ce manque), une lecture des Voyages de Gulliver, à Lilliput, puis à Brobdingnag, et enfin, en point d'orgue, celle du Micromégas de Voltaire. La figure du géant est ainsi abordée, retrouvée, et permet un intéressant travail de comparaison. Surtout, la création d'un complexe d'histoires et de personnages en rapport entre eux facilite leur mémorisation par l'élève.

     

    Des lectures en réseau

    Les lectures constituent ainsi un réseau où chaque texte renvoie aux autres textes. C'est en effet par la comparaison, la recherche très simple de points communs et de différences, que l'on peut constituer une véritable culture, c'est-à-dire un ensemble de connaissances dont l'organisation prend la forme d'un système. Cette fois, c'est la pratique de la lecture en réseau, propre à l'école primaire, que les morceaux choisis longs permettent de mettre vraiment en pratique. Au lieu de se cantonner à de la "littérature de jeunesse" et à des albums, on peut introduire très tôt des extraits classiques, aussi vite lus qu'un court roman pour enfant. Surtout, cette pratique peut s'étendre au collège et au lycée, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, à cause des limites des capacités de lecture de nos élèves : il est difficile, mais possible, de mettre des œuvres de littérature de jeunesse en réseau, pas des classiques.

    Ces comparaisons peuvent faire l'objet de courtes conversations, ce que j'appelle des "comptes-rendus de lecture". Pour la forme, je demande aux élèves de réfléchir aux mots-clefs qui peuvent résumer le passage qu'ils ont lu. Les élèves qui n'ont pas tout compris peuvent ainsi se rattraper. Il s'agit surtout d'amorcer la discussion sur la singularité de cet extrait, en en dégageant des caractéristiques générales. Le vocabulaire littéraire est naturellement mobilisé : genres, tons, finalités, types d'histoire ou de personnage. Les élèves apprécient grandement ce genre de conversation informelle, et font souvent preuve de davantage d'intérêt et de pertinence que lors de l'explication d'un extrait court.

    La comparaison peut prendre davantage de temps et faire l'objet d'une leçon plus longue. J'ai ainsi fait comparer à des quatrièmes des extraits d'Un cœur simple de Flaubert, du Parapluie de Maupassant et de Germinal de Zola (extrait centré sur le personnage enfantin de Jeanlin). Cela nous a permis de dégager des différences narratives, thématiques, tonales, mais aussi quelques caractéristiques communes, qui nous ont fait rapprocher les trois auteurs naturalistes (je n'ai naturellement pas demandé aux élèves d'apprendre ce "gros" mot).

    ***

    On peut imaginer mille autres usages des longs morceaux choisis. Ma pratique n'est que balbutiante. Mais ce qui est sûr, c'est que ce nouveau type de support, disparu de l'école primaire depuis une quarantaine d'années, et jamais apparu dans le secondaire, serait d'une grande utilité pour construire la culture littéraire des élèves.

    Grâce à eux, les élèves auraient accès à des textes plus divers. C'est l'ensemble de la littérature classique qui peut s'inviter beaucoup plus tôt dans la liste des lectures enfantines et adolescentes. Pas besoin d'attendre que l'élève ait la capacité de comprendre l'intégralité de l’œuvre d'origine pour la lui donner à lire.

    En outre, c'est la quantité de textes lus qui peut considérablement augmenter. On ne rechignera pas à faire lire un extrait long pendant la période où l'élève doit lire une lecture cursive, pendant l'étude d'un groupement de textes ou d'une œuvre intégrale.

    Surtout, ces deux conquêtes ne se font pas au détriment de l'implication de l'élève dans la lecture. Celui-ci peut procéder à une véritable "lecture littéraire", telle que la préconise la didactique contemporaine du français, et pas seulement sur des œuvres écrites pour la jeunesse.

    Je ne préconise pas d'abandonner la lecture des œuvres intégrales, par extrait, abrégées ou adaptées, ni les extraits courts, indispensable si l'on veut mener un travail d'analyse littéraire. Mais il manque depuis longtemps un maillon intermédiaire, qui apporterait souplesse et diversité au travail du cours de littérature. Espérons que cela puisse être un jour le cas.


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    Le petit François, CM2, corrige la dictée de brevet 2001.

     

    Dans un article récent, l'historien de l'éducation Claude Lelièvre a tenté de montrer que le nombre d'heures de cours consacrées au français n'avait pas diminué à l'école primaire entre le début du XXe et le début du XXIe siècle, en tout cas en proportion. Il conclut sa réflexion ainsi :

    In fine, la proportion du temps alloué spécifiquement à l’apprentissage du français est le même que dans les débuts de la troisième République, à savoir un bon tiers.

    Il cherche ainsi à faire pièce aux analyses "déclinistes" de l'association Sauvez les lettres, qui a fait école dans le discours du camp des "Républicains".

     

    Baisse relative et dégringolade absolue

    Mais les faits sont têtus.

    1. M. Lelièvre ne compte pas les 5 h consacrées en 1882 aux "exercices d'écriture proprement dite" au cours élémentaire. On ne peut donc pas dire qu'entre 1882 et 1923, seul un tiers des 30 heures de cours par semaine servait à faire du français, sauf à avoir une conception restrictive de ce qu'est cette discipline, et à imaginer que ce type d'exercices a subitement disparu au cours du siècle.

    Logiquement, sur l'ensemble du cursus élémentaire de 1882, il faut plutôt compter 10 + 5 h / semaine au CE, et 10 h en CM, soit 12,5 h / semaine en moyenne, c'est-à-dire 41,6 % du temps hebdomadaire.

    2. Surtout, le choix de s'en tenir strictement au rapport du nombre d'heures de français sur le nombre d'heures de cours total minimise la perte horaire en valeur absolue. Si la proportion passe d'un peu moins de 42 % de la semaine à un peu plus de 36 % entre 1882 et 2008, un élève de 1882 faisait du français 12h30 par semaine et un élève de 2008 seulement 8h45. La baisse est de 3h45, soit une baisse de 30 %.

    Si la proportion du temps consacré au français est (très grossièrement) restée d'un tiers du temps hebdomadaire pendant le XXe siècle, ce fut aussi un peu moins d'un tiers de français en moins pendant la même période.

    On peut tourner les choses comme on le veut, le constat formulé par Loys Bonod dans son article fondamental est indépassable :

    Un élève sortant du collège aujourd’hui [i.e. avant les réformes de 2008] a bénéficié dans sa scolarité de moins d’heures de français qu’un élève sortant de l'école primaire avant la mise en place du collège unique (1908h contre 2016h).

    Si l'on regarde les chiffres, on s'aperçoit qu'on peut opposer une période relativement stable, entre 1882 et 1969, où les cours de français occupent entre 50 et 40 % de la semaine de cours, atteignant même la quantité de 14 heures en moyenne de 1923 à 1938. La diminution constatée en 1956 résulte d'une volonté d'inclure les "devoirs" dans le temps scolaire : on peut vraisemblablement supposer qu'une proportion non négligeable était consacrée au français.

    La vraie rupture intervient avec la pédagogie de l’Éveil et le tiers-temps pédagogique. De 1969 à 2008, c'est la dégringolade : on passe d'un coup d'une moyenne de 12h45/semaine (devoirs à l'école y-compris) à une moyenne de 10 heures. Puis les élèves perdent peu à peu un nombre d'heures impressionnant pour finir sous les 8 h/semaine en 1995.

    Les réformes Darcos, honnies par beaucoup, ont, à partir de 2008, relevé ce seuil à 2196 heures de français au total (10h en CP et CE1, 8h du CE2 au CM2). La tendance s'inverse et compense, partiellement, un demi-siècle d'hémorragie.

    Ainsi, Claude Lelièvre nivelle toutes les aspérités de l'évolution qu'il décrit, laissant croire que l'effort consenti par le système scolaire pour faire faire du français aux élèves est resté constant.

     

    L'allongement des études à la rescousse ?

    Mais certains seront tentés de rappeler que la scolarisation s'est allongée depuis quelques décennies. Si la majorité des élèves poursuit sa scolarité au-delà de la troisième pendant trois ans de lycée, il serait absurde de comparer les situations d'un élève de fin de CM2 d'autrefois et d'un jeune bachelier général ou professionnel d'aujourd'hui. Il serait en revanche logique de considérer qu'un élève actuel a fait davantage de français que ces prédécesseurs.

    Cet argument ne tient pas.

    En effet, un lycéen de section ES et S a suivi, en fin de 1re, 4 heures de français par semaine pendant deux fois 36 semaines, soit 288 heures. Un élève de Terminale L arrivera au compte de 432 heures, puisqu'il suit un cours de littérature de 2 heures par semaine pendant l'année du bac. Un lycéen en section technologique aura suivi 216 heures de français.

    Le titulaire d'un bac professionnel aura suivi 380 heures d'un cours mêlant français, histoire, géographie et éducation civique. On ne peut strictement diviser par deux cette durée, sachant que les professeurs de lycée professionnel font aussi du français en faisant cours d'histoire-géographie-éducation civique. Mais il serait très exagéré de considérer que la totalité de ces heures a été consacrée au français. Comptons hardiment les trois quarts, soit 285 heures, afin de rejoindre les quantités d'un bac S ou ES.

    Faisons les comptes :

    du CP aux bacs S et ES : 2196 + 288 = 2484 heures

    du CP au bac L : 2196 + 432 = 2628 heures

    du CP au bac technologique : 2196 + 216 = 2412 heures

    du CP au bac professionnel : 2196 + 285 = 2481 heures

    Même après la compensation horaire de 2008, le saut quantitatif n'est pas flagrant.

    En 2019, un bachelier technologique aura fait 396 heures de plus qu'un CM2 d'autrefois, soit un peu moins de 2 années de la 6e et de la 5e de l'époque (les élèves faisant 6 heures par semaine, dont 3 en demi-groupe !). Les bacheliers S et ES (les plus nombreux au lycée général) ajouteront à leur régime à l'ancienne de 2016 heures un peu plus d'une 6e et d'une 5e d'antan. Quant aux L actuels (très peu nombreux), ils auront le privilège de faire une 6e, une 5e et une 4e d'autrefois.

     

    Rappelons que ce constat ne vaut que pour les élèves qui sont arrivés en 6e en 2013. Auparavant, le régime était le même que depuis 1969. Il a fallu des réformes "traditionalistes" pour retourner la "baisse tendancielle des horaires" de français. Entre 1969 et 2008, pendant 39 ans, celle-ci fut effective.

    Avant 2008, au point d'aboutissement de la perte d'heures entamée au mitan du demi-siècle précédent, un bachelier avait fait entre une 0,5 et 1,5 année de 6e "ancienne formule" de plus que les 2016 heures de l'élève de CM2 d'autrefois.

    Il reste à savoir si l'inflexion de 2008 était une réaction temporaire ou un véritable retournement de la courbe. On sait que ces instructions ont été très critiquées, notamment par les inspecteurs et les pédagogues du courant "moderniste". On sait aussi que le 5 février 2015 le président François Hollande a déclaré vouloir favoriser la "maîtrise du français dès la maternelle", ce parti-pris "fondamentaliste" (au sens du fameux "retour aux fondamentaux") n'étant certainement pas du goût des membres du CSP chargés de rédiger les nouveaux programmes dans une logique curriculaire et interdisciplinaire.

    Il n'est pas du tout sûr que les horaires Darcos soient maintenus en l'état, ni à plus forte raison augmentés pour revenir au niveau d'avant 1969.

     

    La massification ne change rien.

    Nos calculs seront d'autant plus troublants si l'on précise deux choses.

    1. En 2009, seuls 84 % des 15-19 ans sont scolarisés. Le nombre d'heures de français suivies par les lycéens doit donc être pondéré par l'existence de 16 % d'adolescents et de jeunes gens qui n'en font plus depuis la troisième.

    2. Dans la période qui court de 1882 à 1969, les élèves ne s'arrêtaient pas tous en CM2.

    Le nombre des élèves qui continuaient leurs études, en cours supérieur puis en EPS (École Primaire Supérieure), en Cours complémentaire quand les EPS furent abolies, puis en 6e, s'est accru très spectaculairement après la deuxième guerre mondiale. Entre 1945 et les années 60, on passe d'environ 20 % d'élèves en post-élémentaire à près de 50 %, et cela avant la prolongation des études à 16 ans en 1959.

    En 1956, 40,4 % des élèves poursuivaient leurs études en 6e ou en cours complémentaire. Et ils avaient encore un peu moins de 13 heures de français par semaine en moyenne. En 1962, c'est 55 % des élèves qui étaient dans ce cas, avec cette fois un peu plus de 11 heures en moyenne. C'est à ce moment que les deux courbes se sont croisées : celle de la démocratisation des études post-élémentaires et celle de la diminution des horaires de français.

    Combien d'élèves d'alors ayant effectué un, deux, trois, quatre ans de cours de français supplémentaires, pour atteindre, par exemple, le Brevet élémentaire puis le BEPC ? Le décompte actuel des heures de français en fin de lycée n'a pas du tout à souffrir la comparaison, au contraire ! Et ne parlons pas de ces élèves qui restaient en Classe de Fin d’Étude primaire pour tenter de passer leur Certificat de Fin d’Étude avant 14 ans ! L'allongement global des études n'a donc pas du tout fait exploser la quantité de français enseignée aux élèves français.

    Nous ne disposons pas de chiffres concernant la longueur des études post-élémentaires des élèves d'avant la loi Berthoin de 1959 et l'allongement de la scolarisation à 16 ans. Mais sachant qu'on entrait au CP à 6 ou 7 ans, il est logique qu'on allât, si l'on ne redoublait pas, jusqu'à l'équivalent de la 4e, au minimum, voire en 3e pour les plus jeunes d'une promotion. Et si l'on redoublait , on faisait toujours du français. On peut donc supposer que seuls les bacheliers L de 2019, avec leurs 432 heures de cours au lycée, auront eu un nombre d'heures de français équivalent à un élève de 14 ans d'avant 1959.

    Bref, l'allongement de la durée des études n'a pas compensé la véritable hémorragie des heures consacrées au français en primaire et dans le premier cycle du secondaire.

      

    ***

     

    Il faut le préciser, ces calculs ne ferment pas la porte aux débats qui entourent la comparaison du présent et du passé, puisqu'on n'a pas du tout posé la question des contenus et des méthodes. Mais on ne peut pas nier la diminution drastique des efforts du système scolaire pour donner aux élèves de primaire et de collège le temps d'apprendre à lire et à écrire.

    Surtout, il me semble important de ne pas donner crédit au relativisme historique qui affirme que, bon an mal an, les élèves sont aussi bien lotis qu'autrefois en terme de quantité d'heures consacrées à l'apprentissage de leur propre langue.

    Pourtant, le problème pourrait être posé de manière plus saine. Il n'y a pas lieu d'opposer le cours de français au reste, reste qui peut être tout aussi "fondamental" en primaire. Pensons au calcul, à la géométrie, aux sciences, mais aussi au chant, au dessin, aux travaux manuels et au sport !

    Mais ces matières était-elles négligées dans les écoles d'autrefois ? N'y travaillait-on pas aussi le français en étudiant l'histoire, la géographie et tout le reste ? Et le cours de français n'était-il pas aussi l'occasion de parler de ce qu'on avait vu lors de la leçon de chose, de prolonger une réflexion sur un personnage historique ou sur un phénomène de la nature observé en classe ?

    Il convient donc de se méfier de tout discours voulant consacrer tout le temps hebdomadaire aux "fondamentaux", oubliant que le français ne peut pas se travailler seul, sans lien avec les autres matières. Inversement, on ne peut pas ne pas remarquer les effets délétères de la réduction étourdissante des horaires de français depuis des décennies. 

    Une synthèse est à trouver. Encore faut-il ne pas fermer les yeux sur la vérité des évolutions historiques.

    Merci à Loys Bonod pour ses conseils.

     

     


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