• Revisiter le bac de français

     

    Revisiter le bac de français

    "Vous allez devoir faire une revisite... du bac de français!"

     

    D'après les annonces concernant la réforme du bac, le bac de français existera toujours en 2021, avec un oral et un écrit.

    On a bien cru que l'oral allait disparaître, mais finalement, on aura droit à deux épreuves "revisitées". 

    Si "revisite" il y a, voici trois recettes possibles, de la moins au plus souhaitable.

     

    1| Un bac light : plus rien dans l'assiette !

    Le plus gros risque est là. On maintient l'oral, mais on rompt la tradition centenaire qui voulait qu'on y fasse l'explication d'un texte.

    On la remplace par une discussion sur ce qui a été fait dans l'année, avec éventuellement comme support un port-folio des écrits produits et des réflexions menées dans l'année. C'est grosso modo ce que l'Association Française des Enseignants de Français (l'AFEF) propose.

    On oublie ce faisant que c'est quelque chose qui se fait déjà plus ou moins dans la deuxième partie de l'épreuve orale, le fameux "entretien". Résultat, pas vraiment d'enjeu intellectuel le jour de l'épreuve, rien à produire : tout est déjà fait, il n'y a plus qu'à dire. On réchauffe simplement les plats préparés pendant l'année.

    Quant à l'écrit, finis le commentaire et la dissertation, remplacés par des écrits de synthèse et d'argumentation, moins bien définis. On ne garde que l'écrit d'invention (créer un texte littéraire). Dans ce cas de figure, le "corpus" de textes fourni aux candidats gagne en importance puisque les deux premiers types d'écrits reposeront en grande partie sur eux. 

    C'est la pire des recettes, puisque le corpus, c'est le mal (et un piège à élèves en difficulté comme on n'en fait plus : demandez à leur mémoire à court terme, saturée par les informations complexes à traiter...)

    Et tout cela sur le dos de l'explication de texte, sous sa forme orale comme sous sa forme écrite, qui est pourtant une tradition française très précieuse et dont il faudrait se donner les moyens de la revivifier, au lieu de l'abandonner en rase campagne comme cela risque d'être le cas.

     

    2| Un bac déstructuré : mais qu'est-ce que c'est que cette matière ?

    L'AFEF propose aussi une conception des sujets totalement incompréhensible : 

    C’est pourquoi nous proposons que les épreuves écrites de français, s’appuyant toujours sur un corpus littéraire, soient réimaginées autour de trois formes d’écriture : de synthèse, argumentative et littéraire, dans deux exercices qui combineraient chacun au moins deux de ces formes d’écriture. Ils sont à inventer, en concertation.

    On remplacerait donc des exercices extrêmement simples à définir (un texte à commenter, une question à traiter, un texte à imaginer) par des sujets hybrides, à géométrie variable. Autant pour la clarté des sujets et la facilité à préparer les élèves ! Je ne parle pas du boulot pour les collègues chargés de fabriquer les sujets...

    Idem pour l'oral : 

    Plutôt que de s’appuyer sur des listes et des fiches apprises par cœur et resservies quelle que soit la question posée, il évaluerait des savoirs et des savoir-faire, à partir d’un exigeant programme national d’œuvres classiques et contemporaines, francophones et mondiales, que les élèves auraient étudiées en suivant différents parcours, par exemple à travers des projets collaboratifs et du travail en réseau, faisant appel à des outils numériques, des moyens vidéo ou radio, des pratiques d’écriture littéraire variées…

    J'ai même lu quelque part, mais où ? que l'élève pourrait être amené, dans une seconde partie de l'oral, à justifier la manière dont il vient d'argumenter.

    C'est le mantra de cette association, qui veut mettre en avant la pratique des "écrits intermédiaires", ou "écrits de travail", (si l'on caricature à la hache : des brouillons). C'est comme si on avait peur de ce que cet examen avait de final, et que toute notion de produit fini, de "chef-d'oeuvre", au sens artisanal du texte, avait disparu. 

     

    3| Un bac surgelé : ça manque d'assaisonnement...

     

    Mais le scénario le plus probable est celui d'un aménagement à la marge. On garde les épreuves actuelles, on supprime l'écrit d'invention pour faire plaisir aux profs d'avant 2000, qui n'en faisaient pas faire. C'est la position de l'Association des Professeurs de Lettres (l'APLettres) : 

    L’écriture d’invention doit être supprimée : elle n’est qu’un refuge illusoire, car, dans l’idéal, il s’agit d’un exercice excessivement difficile, pour les élèves les plus fragiles, qui n’en maîtrisent pas les nombreux codes implicites, et sert de prétexte pour éviter d’enseigner les exercices plus rigoureux que sont le commentaire de texte et la dissertation.

    On peut même imaginer la réintroduction du résumé-discussion des années 90. 

    Mais il n'y a pas de quoi se satisfaire de la situation actuelle. Le commentaire de texte, s'il subsiste, peut difficilement être plus allégé : on ne demande plus grand chose actuellement dans cette épreuve. 

    Il était autrefois "composé" : il fallait un plan progressif et rigoureux, et le commentaire devait tendre à faire le tour des enjeux de l'extrait proposé. Il est ensuite devenu "littéraire", puis "de texte". Censé donné plus de place à la perception subjective du candidat, il ne réclame plus du tout de "tout dire" sur le texte, ni même un plan rigoureux : concrètement, deux parties et deux sous-parties traitant deux idées différentes et pas trop stupides, et c'est le 15/20 assuré.

    La dissertation est peu traitée. On voit mal comment on pourrait y toucher, sans soulever des vagues de protestations dans une certaine opinion.

    Quant à l'oral, on peut imaginer qu'il restera ce qu'il est. Un gestionnaire habile en réduirait la durée pour économiser des journées d'examen et les indemnités qui vont avec.  

     

    4| La suggestion "maison"

     

     

    De bons produits

    Si l'on veut faire un oral qui ait du sens, il faut que l'on ait de quoi discuter avec le candidat. Aujourd'hui, on a imposé l'inscription d'une "problématique" sur le "descriptif". C'est souvent autour de cette problématique que le jury en mal d'inspiration va broder pour soutenir une discussion trop souvent étique. 

    Il vaudrait bien mieux passer son temps à discuter des œuvres, des auteurs, des genres, des personnages et des intrigues. Pour cela, il faut augmenter le nombre d’œuvres à lire et signifier aux élèves que c'est sur leur connaissance de ces œuvres et leur appropriation personnelle, étayée par le cours du professeur, qu'ils seront évalués.

    Il en va de même pour l'écrit, où le corpus doit disparaître. L'APLettres le réclame aussi, parce qu'il trouve cette partie de l'épreuve trop peu exigeante : 

    La question de corpus, qui vise à pallier les déficiences devrait pouvoir être supprimée : les élèves, s’ils sont formés correctement, devraient disposer d’une culture littéraire (lectures et histoire littéraire) suffisante pour se passer de ce cache-misère chronophage.

    C'est au contraire parce qu'elle est bien trop difficile à mener à bien qu'il faut la supprimer. En effet, nos apprentis-cuisiniers doivent actuellement dans le même temps découvrir une liste d'ingrédients inconnus et préparer un plat avec. Mieux vaut qu'ils utilisent des ingrédients qu'ils connaissent vraiment, et qu'ils ont l'habitude d'utiliser. 

    On le voit, une telle réforme suppose de revoir les programmes, de diminuer la part des "groupements de textes" qui ne "tiennent" que par leur problématique au profit des œuvres, à la cohérence plus organique et plus riche. Ainsi diminuera la part de récitation du cours lors de l'entretien oral.

     

    Des préparations simples

    Les sujets doivent être faciles à concevoir par les professeurs, et leur finalité aisément compréhensible. C'est aussi pour cela que le corpus de textes, qui contraignait le choix des textes à faire commenter, doit disparaître. 

    On ne se résignera pas à la disparition du commentaire. Expliquer un texte n'est pas une activité aussi artificielle que l'AFEF le déclare. Il s'agit d'un prolongement savant d'une pratique quotidienne, consistant à parler des œuvres que l'on a vues, lues ou entendues. On peut discuter de la forme à adopter : composée ou linéaire (les deux devraient être possible), subjective ou objective (les deux à la fois), exhaustive ou partielle (entre les deux, évidemment). Mais le principe même de l'explication de texte est une composante majeure du cours de français à la française, qui se justifie par l'évidence de la question à laquelle elle répond : que me dit ce texte et comment le dit-il ? 

    On peut se demander alors s'il est indispensable de proposer deux fois cet exercice, comme on le fait aujourd'hui, à l'écrit et à l'oral. La question est légitime. 

    Pour pallier la tentation de la récitation du cours et du bachotage, on a demandé aux candidats de l'épreuve de l'oral de ne plus commenter le texte pour commenter le texte, mais de répondre à une question posée par le jury. 

    Malgré les réticences de certains professeurs, souvent les plus attachés à l'explication de texte elle-même, il me semble que cette question a du bon. Elle force à trier dans ses connaissances et à organiser son propos à nouveau frais. C'est un véritable travail qui est proposé au candidat et donc une véritable mise à l'épreuve, un "examen" de ce qu'il sait faire et pas seulement de ce qu'il sait. 

    Pour éviter le double emploi avec le commentaire écrit, il serait possible de réduire la durée de l'explication de texte orale, en exigeant une réponse ad hoc à la question posée. Mais cette exigence doit être accompagnée par une exigence identique quant à la précision et à la pertinence des éléments de réponse mise en oeuvre.

    Les professeurs seraient conviés pendant l'année à prépare cette épreuve en commentant de manière très complète chaque texte pour donner et faire trouver aux élèves la matière de leur réponse future. De cette manière, dans un temps réduit (entre 5 et 7 minutes), impossible de "ressortir" son cours sans une énorme déperdition de précision. Il est impératif d'adapter sa réponse. 

    Dans le même temps, il faut réduire le nombre d'extraits étudiés pour cette épreuve, qui est excessif actuellement. Du temps serait ainsi libéré pour étudier de manière plus efficace les œuvres et les auteurs choisis. Plus prosaïquement, en passant de 20 minutes à 15 minutes au maximum, on économiserait du temps d'examen et des journées d'indemnité. 

    L'autre conséquence de ce raccourcissement est la nécessité de faire une introduction minimaliste : rappel de la question, annonce du plan et on y va ! Les connaissances habituellement mobilisées lors de cette longue introduction devront être évaluées pendant l'entretien.

    De même, faut-il évaluer la lecture à voix haute ? Si oui, il est possible de prendre 1 à 2 minutes sur le temps de l'entretien pour faire lire un extrait préparé pendant l'année : il est de toute façon rare que l'entretien dure 10 minutes sans relances de la part de l'examinateur.

    Restent l'invention et la dissertation. Les deux doivent rester en place. Mais l'invention doit être un véritable écrit créatif, et non une "dissertation déguisée". Sa longueur et sa complexité doivent être comparables avec celles qu'on attend d'un commentaire ou d'une dissertation.

    La dissertation ne doit plus porter sur la littérature en général mais sur un auteur, une oeuvre, dont le genre et l'époque auront été définis par le programme. Par exemple : "Les auteurs de tragédie en font-ils trop ?" Un élève ayant étudié un Racine, un Corneille ou un Rotrou devrait s'en sortir, mais avec des exemples précis.

    Il serait ainsi plus difficile de préparer en classe des corrigés tous faits (sur les costumes, les accessoires, etc.) en priant pour que les élèves tombent dessus. 

    ***

    Notre suggestion permet ainsi de garder une place à l'explication orale des textes en la rendant moins redondante avec l'épreuve écrite, de redonner un cadre plus abordable et moins théorique à la dissertation, de préserver cette vraie avancée qu'est l'écrit d'invention en lui redonnant une exigence plus forte, et de simplifier la vie de tout le monde : professeurs, examinateurs, concepteurs de sujet et élèves. 

    Bon appétit ! 

     

     


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