• Sus au corpus !!!

     

           

    Le bac de français selon les profs vs selon les élèves.

     

    La réforme du bac va très vite. Interviewé par les sénateurs, Jean-Michel Blanquer a apporté quelques précisions quant à la réforme des épreuves du bac de français.

    Passons rapidement en revue les annonces du ministre :

    - Le commentaire serait préservé : TB !

    - Deux dissertations au lieu d'une : inutile, mais il faut bien faire plaisir aux traditionalistes.

    - Suppression de l'écriture d'invention : Dommage (on y revient plus bas).

    Mais rien sur la question sur corpus ! Un détail, me direz-vous.

    Non. Car comme je l'ai déjà dit, le corpus, c'est le mal ! Voici donc 7 bonnes raisons de s'en débarrasser. 

     

    1| C'est un emplâtre sur une jambe de bois.

     

    Introduite en 2002 par le directeur de l'enseignement scolaire Jean-Paul de Gaudemar, elle visait explicitement à aider les élèves à préparer la suite de l'épreuve : 

    Ces questions peuvent être conçues de façon à aider les candidats à élaborer l'autre partie de l'épreuve écrite, la partie principale consacrée à un travail d'écriture. 

    Concrètement : pas assez d'exemples pour la dissertation, faute de culture littéraire ? On en fournit quelques uns aux candidats.

    Seule l'écriture d'invention reposait vraiment sur le corpus, puisqu'elle était définie d'abord comme un exercice de lecture : 

    L'écriture d'invention contribue, elle aussi, à tester l'aptitude du candidat à lire et comprendre un texte, à en saisir les enjeux, à percevoir les caractères singuliers de son écriture. Elle permet au candidat de mettre en œuvre d'autres formes d'écriture que celle de la dissertation ou du commentaire. Il doit écrire un texte, en liaison avec celui ou ceux du corpus, et en fonction d'un certain nombre de consignes rendues explicites par le libellé du sujet.

    Ainsi, mis à part pour l'écriture d'invention, l'"aide" proposée par le corpus est conçue comme un pis-aller, une opération de maquillage d'une culture jugée insuffisante.

    D'ailleurs, cette aide a entraîné un effet pervers, que tout correcteur du bac connaît : les dissertations qui ne prennent leurs exemples QUE dans les textes du corpus. 

    Mais, on va le voir, ce corpus d'exemples est en fait un cadeau empoisonné.

     

    2| Le corpus fait courir le risque de se répéter.

     

    Les élèves ne sont pas aidés par ces corpus d'exemples. 

    En effet, les questions posées sur les textes du corpus invitent à : 

    établir des relations entre les différents documents et à en proposer des interprétations.

    Or, ces interprétations seront nécessairement réutilisées par le candidat dans sa dissertation, dont le sujet est forcément proche des questions traitées auparavant. 

    Est-ce légitime de demander à un élève de répéter deux fois les mêmes idées lors d'une même épreuve ? La réponse est évidemment non.

    Surtout, cela pose un problème d'elocutio, de formulation, qui handicape souvent les élèves.

    Faut-il dire ces idées avec les mêmes mots ? Si oui, on prend le candidat pour un perroquet. Faut-il en changer ? C'est alors un exercice de style assez vain, souvent réglé à coup de synonymes et de périphrases. 

    Il m'est arrivé de voir des élèves se sortir de cette situation embarrassante en faisant tout simplement un renvoi aux réponses données en début de devoir. Comment leur en vouloir ?

    Le commentaire, qui n'est pourtant pas relié explicitement à la question sur corpus dans le texte de 2002, fait courir le même risque aux élèves (plus nombreux) qui le choisissent. Puisqu'on a déjà dit des choses intelligentes, si possible, à propos du texte à commenter, pourquoi ne pas les répéter ?

     

    3| Il met en difficulté les candidats les moins à l'aise.

     

    Surtout, mettons-nous à la place du candidat en manque d'exemples, qui compte sur les textes du corpus pour avancer dans sa dissertation ou même pour préparer son commentaire. 

    S'il n'a pas les connaissances suffisantes, c'est souvent qu'il n'est pas à l'aise non plus avec la réflexion littéraire (analyse et interprétations des textes) ni avec l'expression écrite. 

    Or, on lui demande de prendre à bras le corps plusieurs textes à la fois, plusieurs textes littéraires qui plus est, d'en avoir une vision globale, de les comparer. Et cela en un temps très limité !

    La question sur corpus valant 4 points de la note finale sur 20, c'est environ 50 minutes qu'il faut passer à lire les textes (cela peut être TRÈS long), à les passer au crible de la question posée, à trouver des critères de réponse pertinents, et à rédiger la réponse en deux paragraphes au minimum . 

    C'est pour la plupart des lycéens actuels une gageure. Leur mémoire de travail, celle qui permet de stocker temporairement les informations dans le but de les traiter, est immédiatement surchargée. 

    Il a fallu sérieusement revoir l'exigence des barèmes à la baisse pour ne pas obtenir des résultats catastrophiques. La moyenne est très vite obtenue à cet exercice, à condition d'accepter des réflexions superficielles, peu étayées, parfois pas du tout synthétiques !

    Ainsi, dans les corrigés-types fournis pendant les réunions d'entente préalable, la présence d'une comparaison entre les textes dans la réponse est consignée dans la rubrique : "À valoriser". On peut théoriquement avoir 4/4 sans comparer les textes entre eux. Comparer, c'est du bonus !

     

    4| La synthèse sur des textes littéraires est extrêmement difficile.

     

    Dans les années 90, on proposait ce qu'on appelait un sujet de "résumé-discussion". Comme son nom l'indique, il consistait à faire la synthèse de plusieurs textes, et ensuite d'écrire un texte argumentatif sur le sujet.

    Je ne porte pas cette épreuve dans mon cœur (trop peu littéraire). Mais le fait est que cet écrit de synthèse était FAISABLE !

    En effet, on n'insistait pas sur l'aspect littéraire des textes proposés, même s'ils pouvaient être extraits d'oeuvres littéraires. 

    Faire une synthèse d'idées et d'arguments est un exercice très formateur et surtout abordable pour une bonne partie des élèves. Mais quand il faut, en plus du QUOI, synthétiser le COMMENT et le POURQUOI des textes, cela devient d'une difficulté extrême.

    Il faut pour s'en sortir vraiment avoir déjà une culture littéraire conséquente, afin de déceler tout de suite les points essentiels du fond ET de la forme ET des liens existants entre fond et forme.

    Faire une synthèse littéraire de textes littéraires n'est possible que pour des élèves qui n'auraient justement pas eu besoin d'un corpus pour réussir ensuite commentaire, dissertation ou écrit d'invention !

     

    5|Il fait perdre du temps.

    Les élèves ont bien assez à faire avec un commentaire, un écrit d'invention ou une dissertation. 

    Le plus souvent, ils passent trop de temps sur la question sur corpus et néglige la deuxième partie de l'épreuve, qui constitue pourtant la majeure partie de la note. 

    C'est une sorte d'automatisme. Ils se mettront plus longtemps à la première partie de ce qu'on leur demande. Mettez la question sur corpus en 2e partie, et vous verrez les proportions s'inverser...

    Il est très fréquent de trouver des copies constituées pour moitié de la réponse à la question sur corpus ! Ce sont souvent des candidats qui passent 1h30, voir 2h sur cette question notées sur 4. 

    La qualité de l'épreuve principale s'en ressent forcément. 

    Supprimez la question sur corpus et le reste sera automatiquement plus long et plus travaillé.

     

    6| Il rend difficile la conception des sujets. 

     

    Depuis 2002, il est beaucoup plus difficile de construire un sujet. Il faut trouver plusieurs extraits 1° sur le même thème, 2° qui s'inscrivent dans un objet d'étude du programme, 3° qui pourront servir de corpus d'exemples pour la dissertation et l'écrit d'invention, 4° dont l'un pourra être un sujet de commentaire, et tout cela 5° en plusieurs exemplaires.

    Il y a en effet les sujets de remplacement, les sujets pour Pondichéry, l'Amérique du Nord, le Liban, les Pays du groupe 1, la Polynésie et l'Asie du sud-est, les sujets pour les L, les ES-S et les sections technologiques.

    Voilà le résultat, sur le site Magister (le secret le mieux gardé des professeurs de français en mal de sujets de bac blanc) : 

     

     

     

     

     

     

     

    Si on se débarrassait du corpus, il suffirait de choisir un seul texte à commenter, qui pourra être avantageusement utilisé par les élèves comme exemple de dissertation ou comme modèle d'écriture d'invention.

    Ainsi, le risque de se retrouver avec des sujets bancals, hétéroclites, mal fichus serait réduit au minimum.

     

    7| Le corpus bride l'écrit d'invention.

     

    Comme je l'ai déjà dit ailleurs, l'écrit d'invention n'est pas en soi quelque chose de scandaleux. Le supprimer serait une erreur : cette part accordée à l'invention littéraire donnait au bac un certain équilibre. 

    Mais une des voies pour le réhabiliter aurait pu être de le découpler de la question de corpus. 

    On l'a vu, dans le texte de 2002, les deux nouveautés de l'époque (corpus et invention) ont été conçues comme un seul ensemble. Le corpus donnait des modèles à l'invention et l'invention devait témoigner avant tout de compétences de lecture. 

    En soi, rien de choquant.

    On aimerait à lire des écrits d'invention derrière lesquels on sentirait une culture littéraire, des références et des modèles suffisamment digérés par les candidats. Inutile de dire que c'est très rarement le cas. 

    Mais l'accent n'était pas mis, étrangement, sur les capacités d'écriture, qu'elles soient d'imagination ou d'expression.

    Quand le législateur précise les types de textes acceptés de la part des candidats, l'enthousiasme retombe vite...

    L'écriture d'invention peut prendre des formes variées. Toutefois, comme elle se fonde sur les contraintes littéraires des genres inscrits au programme de la classe de première, et qu'elle doit se prêter à une évaluation objective des correcteurs, elle s'inscrit dans les orientations suivantes : 

    - article (éditorial, article polémique, article critique - éloge ou blâme -, droit de réponse...) ; 

    - lettre (correspondance avec un destinataire défini dans le libellé du sujet, lettre destinée au courrier des lecteurs, lettre ouverte, lettre fictive d'un des personnages présents dans un des textes du corpus...) ; 

    - monologue délibératif, dialogue (y compris le dialogue théâtral) ; 

    - discours devant une assemblée ; 

    - essai ; 

    - récit à visée argumentative sous forme de fable, d'apologue... 

    Pour la série littéraire, on ajoutera : 

    - amplification (écriture dans les marges ou les ellipses du texte), parodie et pastiche. 

    On le voit, les textes demandés sont majoritairement argumentatifs. Même quand il s'agit de "récit", on lui demandera d'être "à visée argumentative". Nulle place pour la description, le portrait, le dialogue romanesque, le récit d'aventures imaginaires ou de faits réels. Nulle place non plus pour la poésie, les vers, les strophes...

    Mise sous tutelle du corpus de textes, l'invention en est, dès l'origine, réduite au statut fort critiquable de "dissertation déguisée".

    De là les sujets, tous plus ennuyeux les uns que les autres, où l'on fait parler deux metteurs en scène, le lecteur d'un journal littéraire, un auteur interviewé par un journaliste, etc. Et que dire de la culture nécessaire pour bien représenter ces aspects de l'institution littéraire, sans trop verser dans le cliché ou dans la banalité ! Des sujets pour "fils de" de lycées parisiens, biberonnés à la littérature et à son institution depuis les langes !

    Supprimer le corpus, c'est donc redonner sa chance à un écrit d'invention faisable, créatif, et exigeant. (Encore faut-il se mette d'accord pour définir de nouveaux critères d'exigence... Mais pourquoi pas ?)

    ***

    Je garde le secret espoir que le corpus soit supprimé dans la foulée de l'écrit de l'invention. 

    Supprimez l'invention, je me désole.

    Supprimez l'invention en gardant le corpus, je hurle !

     


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :