• Un enseignement explicite des savoir-faire du cours de littérature

     

     

    Depuis quelques temps, la mode est à l'« explicite ». Même les pédagogies modernistes s'en réclament, alors qu'elles étaient traditionnellement plutôt implicites.

    Ça tombe bien : j'ai tenté cette année d'expliciter le plus possible les savoir-faire, propres à la discipline des lettres, que je veux enseigner en classe de seconde. Je continue ainsi un travail entamé pour le collège l'année dernière. En seconde, c'est le bon moment pour le faire, car on peut enfin « rebooter » le cours de français après quatre ans de collège. Le résultat est un document en trois parties de trois sous-parties. 

    Ce document ne sera donné à mes élèves de seconde que quelques mois après la rentrée, quand tous ces savoir-faire auront été abordés au moins une fois. En ce début de mois de février, il me reste à voir les trois types de références aux propos des autres (paraphrase, résumé, citation). Mais ce n'est pas grave : il s'agit d'une synthèse d'autres documents, disponibles par ailleurs (photocopiés, affichés publiés sur le web). Rien de neuf donc...

    Il m'a pour l'instant servi à préciser ce que je veux faire apprendre aux élèves, ainsi que le langage que j'utilise avec eux en cours et en correction de devoir. Ce langage s'est peu à peu standardisé, et permet de revenir encore et encore sur les mêmes points, dans des contextes différents. Par exemple, j'ai fait le lien dans mon cours sur l'introduction entre la justification des thèses de paragraphes et la justification préalable de la question qui clôt l'introduction (autrement dit, la fameuse et effrayante « problématique »).

    L'explicitation des attendus du cours de lettres en termes de savoir-faire permet donc de poser les bases d'une progression qui renforce peu à peu leur maîtrise en approfondissant leur compréhension grâce à leur révision (on les « revoit ») dans des contextes différents. Par exemple l'explication est d'abord vue en lien avec l'énoncé de la thèse (une des premières exigences de l'année), puis avec l'exemple justifiant l'argument : le fameux « commentaire », ou « développement » de l'exemple n'est autre qu'une explication du lien qu'il entretient avec l'argument.

    Idéalement, cet travail de distinction des savoir-faire me permettra de rédiger des batteries d'exercices progressifs pour apprendre à les mettre en œuvre (mais ça, c'est beaucoup de travail : j'avancerai petit à petit.)

     

    Quelques remarques (explicatives et justificatives)

    1) J'insiste sur le travail d'énoncé synthétique d'une idée. Il faut d'abord dire ce qu'on va démontrer puis, seulement, développer. C'est le secret des raisonnement clairs et rigoureux. J'essaie de faire éviter aux élèves les début de paragraphe qui tournent autour du pot. Souvent, ces mêmes paragraphes n'ont pas d'idée directrice.

    La conséquence en est inévitablement l'enchaînement ultra-rapide des idées, sur le mode du zapping. Autre conséquence, souvent liée : les répétitions d'idées. Quand on n'a pas fait l'effort d'énoncer fermement les idées qu'on veut démontrer, on court le risque de les répéter, sous une forme plus ou moins semblable. D'où des devoirs qui piétinent ou avancent en spirale : les élèves croient qu'ils font ce qu'il faut parce qu'ils accumulent les lignes, mais au bout du compte, le nombre des idées différentes est beaucoup trop faible. Il faut donc faire de la phrase d'énoncé des idées le lieu où avance la réflexion.

    2) La distinction entre expliquer et justifier remplace la consigne « développer » qu'on retrouve si souvent sur toutes les copies de français au lycée. Cette métaphore n'aide pas les élèves, qui ne savent pas quoi dire de plus que ce qu'ils pensent avoir dit (surtout quand il n'ont pas fait l'effort d'énoncer fermement et brièvement l'idée à développer).

    Justifier est assez universellement exigée par les professeurs, qui demandent indifféremment de « montrer », de « démontrer » et parfois, horresco referens, « d'expliquer ». Je préfère dire « justifier », terme moins scientifique que « démontrer » ou « prouver ». Il s'agit simplement de montrer qu'une idée est « juste ».

    On demande plus rarement d'expliquer. Expliquer permet de se faire comprendre, et de mieux comprendre ce qu'on veut dire, et pourquoi on le dit. C'est l'explication qui fait la cohérence d'un raisonnement. Souvent, les élèves enfilent les idées comme des perles sans qu'on voit le rapport de chacune d'elles avec celles qui précèdent, soit immédiatement (le I 3 par rapport au I 2), soit à un niveau hiérarchique supérieur (l'exemple par rapport à l'argument, la thèse du I 1 par rapport à la thèse du I, le II par rapport à la question de l'introduction).

    Au lieu de gonfler artificiellement les devoirs en multipliant les idées (qui se ressembleront toutes), mieux vaut expliquer tout ce qu'on dit, ce qui n'est pas si compliqué que cela. Je dis souvent à mes élèves qu'ils doublent comme cela la taille de leur devoir (pour eux, la longueur est un objectif important : autant rentrer dans leur jeu et leur dire comment faire.)

    3) L'explication du texte entremêle les trois moments de la description, de l'analyse et de l'interprétation (quoi ? comment ? pourquoi ?) Cette distinction permet de revenir sur son propos et de voir ce qu'on est en train de faire. Elle permet de ne pas oublier d'analyser pour justifier une interprétation, d'interpréter une description ou une analyse, etc.

    4) Il y a trois manières de se référer à un propos. Il convient de ne pas privilégier les citations, qui tournent à l'obsession chez les élèves parce qu'on a insisté trop tôt sur leur usage (dès le collège). Ils pensent logiquement que citer, c'est prouver. Dans le pire des cas, ils n'en voient pas l'intérêt et ne citent pas. Sans doute fallait-il en priorité faire travailler la qualité de l'énonciation des idées et de leur explication, repoussant à plus tard la nécessaire justification écrite (à l'oral, la justification peut se faire plus tôt).

    Il est important de réhabiliter l'indispensable étape de la paraphrase. Demander d'analyser un texte en sautant cette étape revient à dissocier le sens littéral, qui doit faire l'objet d'un travail d'appropriation, du sens résultant de l'analyse. En bannissant la paraphrase, qui peut se perfectionner en résumé, se faire progressivement descriptif et explicatif, on émascule la réflexion littéraire des élèves et on leur fait se représenter l'explication littéraire comme un exercice purement artificiel. Après coup peuvent se greffer sur cette base de paraphrase ou de résumé des remarques d'analyse et d'interprétation.

    C'est ce qu'on faisait faire aux élèves au XIXe siècle et au début du XXe siècle, dans le très ancien exercice appelé « l'analyse littéraire », qui demandait de paraphraser une à une les parties d'un texte, en y ajoutant éventuellement des remarques de tous ordres.

    5) Les précisions en grisé détaillent les différentes manières de faire et les différents contextes dans lesquels ces savoir-faire sont utiles.


  • Commentaires

    1
    julie
    Mercredi 6 Juillet 2016 à 17:48

    Je trouve votre document clair et bien présenté. Votre idée est excellente et je pense qu'elle permet de réfléchir sur nos pratiques d'enseignants. yes

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    2
    julie
    Mercredi 6 Juillet 2016 à 17:49

    * à nos pratiques d'enseignants.

    3
    Dimanche 17 Juillet 2016 à 15:46
    Merci Julie.
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