• Un schéma pour "sentir" la différence entre infinitif et participe passé

    Couchée ou coucher ?

    (Angélique endormie de Rubens, d'après L'Arioste)

    Il y a une chose que je n'ai jamais comprise chez les élèves, c'est l'étonnante persistance de la confusion entre les terminaisons verbales ER et É. Pourtant, la bonne vieille technique de la substitution par un verbe à l'infinitif du 3e groupe est, une fois n'est pas coutume, assez efficace.

    À mon époque, on nous disait que si on pouvait dire « prendre », le verbe finissait par ER. Aujourd'hui, les élèves préfèrent « mordre », « vendre » et autres verbes exotiques. Parfois, on a explicité et allongé la formulation de cette astuce : "Si on peut dire « prendre », c'est ER, et si on peut dire « pris », c'est É." Ce faisant, on a compliqué les choses. Certains élèves s’embrouillent et il n'est pas rare d'entendre que si l'on peut dire « prendre » (ou « mordre », etc.), on met É, et que si l'on dit « pris », on met ER...

    La substitution n'est jamais la meilleur manière de faire car elle tend à éloigner de la mémoire immédiate la formule dont il est question au profit de variantes plus ou moins exactes. Les élèves n'étant pas à l'aise avec la langue et n'ayant pas une mémoire de travail très grande, les dégâts sont très vite irréversibles. Mais, en l'occurrence, cette substitution-là est simple et rapide. À force de l'utiliser, elle devient automatique et l'on s'en passe de plus en plus facilement. Dans ce cas, la routine mécanique renforce l'intuition de la langue au lieu de lui mettre des bâtons dans les roues.

    Cependant, l'idéal serait de faire ressentir aux élèves la différence entre les deux terminaisons, qu'on peut résumer ainsi.

     

    L'infinitif a un sens « sécant ». L'action exprimée est considérée à un moment précis de son déroulement. Quand je dis « manger », je pense à une action en train de se dérouler. On n'en envisage pas de l'extérieur les limites initiale et finale.

    Le participe passé a lui un sens « global ». L'action est considérée comme un tout, dont on voit les limites de l'extérieur. Quand je dis « mangé », je sais que l'action a commencé et est déjà finie. En cela, le participe passé a aussi un sens « accompli ». Ici, quelque chose a déjà été mangé.

    Mais l'on peut aussi distinguer un infinitif actif et un participe passé passif. « Manger » : l'action est faite par un agent qui fera office de sujet du verbe. « Mangé » : l'action est subie par un patient, auquel se rapporte le verbe. Bref, quand je dis « manger », je pense à celui qui va manger, et quand je dis « mangé », je pense à celui qui a été mangé.

    Cela explique pourquoi, avec l'auxiliaire « être », le participe passé s'accorde avec le sujet : le sens du verbe « être » n'est pas actif, puisque c'est un verbe d'état. « Avoir », en revanche, est un verbe d'action. Cela explique aussi qu'il peut s'accorder avec le complément d'objet direct du verbe si l'auxiliaire est « avoir » : c'est bien l'objet de l'action qui subit cette action.

    Passif, accompli ou les deux, le participe passé s'oppose à l'infinitif par son sens. D'ailleurs, un locuteur expérimenté choisira et accordera la terminaison« au sens ».

     

    Mais cette distinction est difficilement perçue par les élèves, et on ne peut naturellement pas la leur expliquer en ces termes. Si l'on en reste là, il vaut mieux s'en tenir à la technique de la substitution.

    Il existe certes des exemples frappants qui peuvent marquer les esprits d'élèves plus âgés. Cette phrase, écrite par Mme de Sévigné à sa fille, n'a plus vraiment le même sens si l'on transforme le participe en infinitif :

    « Je me suis mise à vous écrire au bout de cette petite allée sombre que vous aimez, assise sur ce siège de mousse où je vous ai vu quelquefois couchée. »

    Le spectacle d'une mère imaginant sa fille couchER fait généralement beaucoup rire les quatrièmes et les troisièmes. Mais en enseignement, marquer les esprits ne suffit pas. L'oubli prend vite le dessus.

     

    Pour m'en sortir, j'ai imaginé un schéma qui montre, sans jargon linguistique, la différence de sens entre les deux. Assorti des explications adéquates, il aide la mémoire et aiguise la perception de la signification des modes verbaux.

    Un schéma pour "sentir" la différence entre infinitif et participe passé

    Dans le premier cas, la souris veut manger, mais rien n'a été encore mangé. Le sens du verbe est actif, sécant et inaccompli. Dans le second, la souris a été mangée. Le sens du verbe est passif, global et accompli.

     

    J'ai choisi un nom féminin, la "souris", pour pouvoir faire un accord en genre. En effet, il faut faire percevoir aux élèves que l'infinitif ne se rapporte pas à un nom (c'est le sujet qui se rapporte au verbe), mais que le participe passé, lui, se rapporte à un nom auquel il s'accorde. Cela nous conduit à une petite maxime, bien pratique du moment que les élèves savent ce que veut dire « accorder » un mot :

    « Si le verbe peut s'accorder en genre et en nombre au mot auquel il se rapporte, il finit par É, et non ER. »

     

    Ce schéma ne dispense pas d'apprendre la différence entre infinitif et participe de manière plus formelle et abstraite. Il n'exclut pas non plus le vieux remède de la substitution. Mais des élèves l'ayant plusieurs mois sous les yeux, le prof y faisant référence dès qu'il en a l'occasion, doivent logiquement s'imprégner de la différence sémantique entre ces deux formes verbales.


  • Commentaires

    1
    Isabelle
    Lundi 13 Janvier 2014 à 18:55

    J'aime bien l'image de la souris, le fromage et le chat, c'est très clair.

    2
    Lundi 13 Janvier 2014 à 19:02

    En te lisant, je pensais au petit enfant qui commence à parler et qui, affamé, crie "Manger !" en voyant ses parents l'installer dans sa chaise haute et lui apporter son assiette et sa cuiller et qui, quelques instants plus tard, repu, pose la cuiller d'un air satisfait en disant : "Ah ! Tous mangé ! A plus !".

    Mais l'histoire de la souris est encore plus parlante.

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    3
    Lundi 13 Janvier 2014 à 20:10

    Non, le petit il dit: "tout mangé"!!! (N'importe quoi...)

    4
    Lundi 13 Janvier 2014 à 20:34

    La question est de savoir si je fais un schéma identique pour mes (peut-être) futurs lycéens, mais avec "couché" et "coucher"... 

    5
    Lundi 13 Janvier 2014 à 20:37

    Mais pourquoi ai-je écrit "tous", moi ? Tu n'as pas une affichette sur "tous" et "tout" pour moi, Le-Professeur ?

    6
    Lundi 13 Janvier 2014 à 20:39

    Pourquoi pas? Il faudra bien qu'ils assument leurs actes ...un jour! Et fassent la différence entre action et état..

     

    7
    Lundi 13 Janvier 2014 à 20:40

    Parce que ces parents indignes avaient mangé avant lui...

    8
    Lundi 13 Janvier 2014 à 20:56

    Donc nous disions... Un jeune ogre, fourchette et couteau en mains, la salive aux lèvres... Ses parents, les yeux inquiets, s'approchent, pieds nus, en chemise et le ketchup à la main. Le petit ogre s'écrie : "Manger ! Tous !"

    Deuxième affichette, le petit ogre, fourchette et couteau jetés au sol avec le flacon de ketchup ! Par terre, deux chemises couvertes de... ketchup ? L'ogre a le sourire ravi du type repu. Il laisse filtrer entre ses lèvres mi-closes : "Mangés... Tous..."

    Et là, en plus, on a l'accord en nombre... Elle est pas belle, la vie ?

    9
    Lundi 13 Janvier 2014 à 21:23

    Charles  a trouvé son maître!!!

    10
    Lundi 13 Janvier 2014 à 21:23

    Je ne sais pas trop ce que ça vaut, mais je dis à mes élèves :

    "faiRe l'action de..." = infinitif, avec un R.

    11
    Lundi 13 Janvier 2014 à 21:36

    Non sérieusement, je pense qu'il n'y a pas de "truc" possible pour ça. C'est inutile, trop superficiel, ça marchera une fois ou deux, puis ils confondront. Je ne crois qu'à l'explication ( dès le primaire bien sûr) puis à la répétition, voire le radotage... jusqu'à ce que la différence entre la façon de désigner une action, un état (leur "nomination") l'infinitif, apparaisse comme essentiellement différente du participe passé qui "qualifie" ou "décrit" le résultat de cet action ou de cet état.

    12
    Lundi 13 Janvier 2014 à 21:45

    "cette action.".. ce sera mieux et pas plus cher!!!

    13
    Lundi 13 Janvier 2014 à 22:44

    Rien ne remplace l'analyse, mais l'image permet de rendre encore plus intuitive les explications. Je crois que les deux sont complémentaires.

    14
    Mardi 14 Janvier 2014 à 07:58

    Oui, c'est bien ça : pas de "truc", une compréhension du sens de l'infinitif, du participe, qui sont choses complexes.

    Mais il m'a semblé que dire infinitif = "faire l'action de (aimer, manger...)" est un raccourci qui rappelle le sens de l'infinitif.  Il me semble de même que les images de le-professeur expliquent le sens de l'infinitif.

    15
    Mardi 14 Janvier 2014 à 08:10

    On est d'accord.

    16
    Mardi 14 Janvier 2014 à 10:46

    Oui, bien sûr, mais ne focalisons pas trop sur la "méthode" propre à chaque prof, à chaque classe, ( à chaque élève ?)... Il ne faudrait surtout pas qu'ils croient qu'ils pourront faire l'économie de la réflexion approfondie, de l'intégration d'une notion, si complexe soit-elle, ce qui est notre seul objectif. Je crains, parfois, qu'à force de leur mâcher le travail, on ne les incite malgré notre bonne volonté à une acquisition trop superficielle. Je suis sans doute trop méfiante et trop optimiste, mais j'aimerais les emmener plus loin...

    17
    ex abrupto
    Jeudi 6 Mars 2014 à 16:53

    Bonjour, juste pour signaler qu'après l'auxiliaire avoir, on n'accorde jamais le PP avec le sujet. sarcastic wink2 Allez, je blague mais la coquille est énorme : Quand je dis « mangé », je sais que l'action a commencée et est déjà finie.

     

    Sinon votre blog est très intéressant, merci.

    18
    Jeudi 6 Mars 2014 à 17:22

    Très intéressant, mais plein de fautes...ouch

    19
    ex abrupto
    Jeudi 6 Mars 2014 à 17:35

     

    Aphrodite ne naît-elle pas dans une coquille ? yes

    Vous pouvez effacer mon commentaire, bien entendu.

    20
    Jeudi 6 Mars 2014 à 18:08

    Pas besoin. Errare...

    21
    ex abrupto
    Jeudi 6 Mars 2014 à 18:13

    Mais ??? Je ne m'appelle pas Errare !

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