• Quand tu arrives à la fac et que tu comprends qu'il va falloir lire des livres.

     

     Si vous ne le saviez pas, Le Figaro vous l'apprend : Avoir des lectures exigeantes influe sur la mémoire et le niveau d’écriture

    Selon une étude de l'International Journal of Business Administration (tout un programme...), lire des romans "sophistiqués" ou bien des livres scientifiques "complexes" aurait une influence sur la capacité à se souvenir et sur les capacités d'écriture. 

    On pouvait s'en douter, certes, mais cela va toujours mieux en le disant !

    Cette publication m'a fait penser à une remarque que je me suis faite il y a déjà quelques temps, quant à la quantité et à la qualité des lectures demandées au lycée. (Pour ce qui est du collège et de l'école primaire, l'affaire est entendu, faire lire beaucoup et des écrits suffisamment complexes est indispensable, et cela très tôt.)

    Mais au lycée, finalement, quels livres les élèves sont-ils amenés à lire ? 

    La réponse est simple et assez effrayante si l'on est d'accord avec l'étude citée par Le Figaro : pas grand chose, et, surtout, dans un domaine bien trop restreint. 

    En effet, en caricaturant à peine, il n'y a que les profs de français qui demandent à leurs élèves de lire des livres. Il est étonnant que ce constat soit aussi peu fait (je ne l'ai jamais rencontré jusqu'à présent).

    Quid des profs d'histoire-géographie, des profs de sciences, des profs de SES, des profs de langue ? Elles sont rares, les fois où un libraire a vu des lycéens venir acheter un livre sur le Moyen-Âge, un Penguin bilingue, un recueil de Stephen Jay Gould ou un essai sur le salariat ! En revanche, des Zola, des Balzac, des Verlaine ou des Gaudé (sic), c'est monnaie courante.

    Je ne cherche pas ici à vilipender mes collègues. Ils ont d'autres chats à fouetter, confrontés qu'ils sont à la lourdeur de certains programmes mal conçus, aux lacunes culturelles et linguistiques des néo-lycéens. 

    Mais j'aimerais tant qu'ils se rendent compte de l'apport que pourrait apporter des lectures scientifiques à la culture générale des élèves et aussi à leur capacités de mémorisation, d'écriture, et, même si l'étude citée par Le Figaro ne le mentionne pas, à leur capacités de lecture et de compréhension. 

    Que j'ai pu suer en classe prépa sur des ouvrages de Bergson, de Duby, de Veyne ! Quelle difficulté j'ai pu éprouver face à des obstacles syntaxiques et lexicaux apparemment insurmontables. Je me souviens en particulier du mot "linéament", chez Bergson je crois, sur lequel j'avais pioché pendant un heure...

    Mais je me souviens aussi de la sensation de progresser, du sentiment d'aisance qui a été le mien au bout d'un certain temps, face à des livres de difficulté comparable (aisance relative, naturellement : jamais pu lire deux pages de Derrida ou de Blanchot !) 

    Or, les bacheliers généraux arrivent en fac d'histoire, de géo, d'éco, en prépas diverses et variées, sans avoir jamais lu un livre, un chapitre de la matière à laquelle ils sont censés s'intéresser pendant plusieurs années !

    En revanche, dans les prépas privées au concours de Sciences Po, on demande aux futures terminales de lire un livre sur le Front Populaire (véridique). Il faut donc payer, et vouloir viser très haut (Sciences Po, ce n'est pas rien) pour se voir enjoindre de lire un livre qui ne soit pas un roman, une pièce de théâtre ou un recueil de poèmes !

     

    En pratique, comment faire ? Il faudrait que les profs de chaque matière partent à la recherche de quelques ouvrages pas trop longs, abordables, lisibles par des lycéens lambda. Au pire, pourquoi pas dépouiller quelques classiques de leurs littératures scientifiques respectives et mettre en ligne (si l'on ne veut pas trop faire chauffer la photocopieuse) un chapitre d'une étude fameuse, qu'on aurait pourquoi pas préalablement élagué de ses passages secondaires ou trop compliqués. Du Braudel en Histoire, du Luminet en physique, du Gould en SVT, etc. 

    On peut puiser aussi dans les livres de vulgarisation, dans les articles de journaux spécialisés (ça, pour être honnête, les profs le font déjà un peu). 

    Il ne faut pas craindre de faire feu de tout bois. Historiens anciens, historiens modernes, théories surannées mais fascinantes, article fouillant un point de détail ou grande fresque synthétique : tout est bon pour habituer nos élèves à lire des textes scientifiques. Cela nécessite un petit travail d'édition, pour mettre en contexte et orienter le jugement des élèves, qui n'ont pas la culture, en règle générale, pour savoir s'ils ont affaire à du lard ou à du cochon. 

    Ne craignons pas non plus de faire lire des écrits qui n'ont pas de rapport avec le programme. Ils seront lus à la maison, et ne nécessitent pas forcément de longues séances de débriefing pour être assimilés par les élèves. En revanche, ils pourront étayer un cours un peu rapide, combler une lacune, éveiller une curiosité. 

    Profs de toutes les matières, unissez-vous ! Faites-lire des livres à vos élèves !

    Plus prosaïquement : s'il vous plaît, ne laissez pas le profs de français faire tout seuls le sale boulot, et être le seul prof "qui donne des livres à lire" !


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    Complément de verbe tentant de monter en grade en complétant la phrase dans laquelle il se trouve.

     

    À l'occasion de la mise en oeuvre des nouveaux programmes à la rentrée, notamment en grammaire, on voit fleurir sur internet les propositions d'infographies, de leçons, d'exercices.

    Et la grande mode, juste après le nouveau, mais pas si utile, prédicat, c'est le complément de phrase. Puisqu'on a supprimé du cycle 3 (CM1-CM2-6e) les COD, COI et autres CC, le seul travail concernant les compléments sera de dire s'ils se rapportent à un mot de la phrase ou à la phrase elle-même.

    Ainsi, dans toutes les écoles primaires de France, on enseignera la chose suivante : 

    1° "Dans les phrases, le complément peut se rapporter au verbe ou à la phrase elle-même"

    Le "groupe" "dans les phrases" complète la phrase entière.

    2° "Le complément de phrase ne complète pas le verbe uniquement."

    Le "groupe" "le verbe" complète le verbe "complète". (Désolé, les exemples sont tordus, mais ça me fait rire...) 

     

    1/ Bref, les COD et COI complètent le verbe et les Compléments circonstanciels complètent la phrase. 

    Or, comment un groupe peut-il compléter la phrase elle-même, puisqu'il se situe lui-même dans cette phrase ! Le Baron de Münchhausen se sortant de la rivière lui et son cheval en se tirant par le catogan s'y retrouverait sans doute...

    Il faudrait, à tout le moins, parler de complément de la proposition. Sinon, on installe la confusion chez les élèves, qui arrivent déjà au collège sans maîtriser la différence. (Pour rappel : 1 proposition = 1 sujet + 1 verbe ; 1 phrase = 1 majuscule + 1 point final.)

     

    2/ Autre point qui me chiffonne : un complément circonstanciel complète la "phrase" (en fait la proposition, mais je vais continuer à utiliser la formulation fautive en cours dans les programmes) quelle que soit sa position. 

    "Dans les prés, les vaches paissent l'herbe fraîche"

    et

    "Les vaches paissent l'herbe fraîche dans les prés", 

    même combat : "dans les prés" = complément de la proposition de la phrase "Les vaches paissent."

    Mais au nom de quoi la possibilité de déplacer un groupe de mots a-t-il pour conséquence de le rattacher non plus au verbe seul, mais au verbe + son sujet + ses compléments éventuels ?

    Après tout, "l'herbe fraîche" est mangée (*trouve pas le participe passé de "paître"*) par les vaches : ce COD pourrait tout à fait réclamer le droit de compléter la proposition entière ! 

    Et "les prés", dans lesquels paissent les vaches, complètent eux aussi l'action de "paître". En quoi est-il si crucial de faire la différence, surtout à l'école primaire ?

     

    3/ Parce qu'il y a effectivement des mots qui se rapportent à une proposition ou à une phrase. Certains adverbes modulent non pas l'action exprimée par le verbe, mais la situation ou l'événement précis auxquels la phrase fait référence. 

    Dans la phrase

    "Heureusement, on ne fait plus de grammaire au lycée",

    l'adverbe "heureusement" se rapporte à une situation complète, et pas à la seule action de "faire". Si l'on déplace l'adverbe après le COD, le sens n'est plus le même :

    "On ne fait plus de grammaire heureusement au lycée."

    Avec "dans les prés", en revanche, le sens ne change pas selon la position dans la phrase.

     

    4/ Pourquoi alors mettre ce complément en début de phrase, séparé du sujet par une virgule, comme dans notre formulation initiale ? 

    Eh bien, pour des raisons de rythme : dégager une information en début de phrase permet de clarifier la proposition qui suit. Pour des raisons de distribution des informations : le cadre étant posé, on peut passer plus précisément à l'événement raconté. Pour des raisons stylistiques : l'antéposition du Complément circonstanciel caractérise souvent la langue littéraire. 

    Mais dans tous les cas, le Complément circonstanciel n'a pas un fonctionnement logique et référentiel différent des Compléments d'objet. Tous se rapportent à une action ou à un état exprimé par le verbe.

    Et c'est justement un des intérêts de l'enseignement de la grammaire, notamment en primaire, que de faire réfléchir les élèves à la logique de l'assemblage des mots dans la phrase. Les catégories sémantiques que sont les "circonstances", "l'objet", le "lieu", le "but", etc. permettent de prendre du recul sur le flux langagier pour déterminer le mécanisme de la signification. 

    En revanche, les arguties concernant la portée des compléments reviennent à faire de la grammaire d'étiquetage, celle-là même que condamnait Denis Paget, responsable de la commission de rédaction des nouveaux programmes de français au Conseil Supérieur des Programmes. Le complément de phrase ne permet de faire rien de plus que les CC et les CO ne permettaient de faire, mais il empêche d'enseigner les éléments d'une compréhension théorique de la syntaxe française, éléments pourtant tout à fait à la portée des élèves de cycle 3.


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