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Bac de français : vers la rédac en 140 caractères ?
Nouveau format des copies de bac annoncé pour 2018.
Savez-vous qu'il est possible d'avoir son bac de français en seulement 40 lignes ?
J'exagère un peu. Il y a bien sûr une ou deux questions "sur corpus" à traiter avant, valant de 4 à 6 points sur la note globale.
Reste cependant un exercice sur 14 ou 16, commentaire de texte, dissertation, ou bien sujet d'invention.
| La copie qui rétrécit
Eh bien, figurez-vous que depuis 2012 (vous pouvez vérifier), on demande aux élèves de section technologique de rédiger seulement une quarantaine de lignes dans ce dernier exercice !
Et cette année, grande nouveauté ! on a fait migrer de telles consignes de longueur des sections technologiques aux sections ES et S. Mais on demande tout de même à ces élèves, qui sont souvent les meilleurs en français au lycée général (eh non, ce ne sont pas les L !), d'écrire une cinquantaine de lignes.
10 lignes, c'est ce qui sépare les "écrits d'invention" des STMG, STI2D et autres ST2S de celles des S et des ES...
Allons plus loin. Si l'on lie le temps passé à chaque exercice de l'épreuve à leur valeur dans la notation globale, on se rend compte qu'un élève devrait passer sur le sujet d'invention 2h48 (en sections technologiques, noté sur 14) et 3h12 (en sections générales, noté sur 16).
Soient, pour quarante lignes en sections technologiques : un peu plus de 4 minutes et 12 secondes par ligne, et en sections générales 3 minute 50 secondes par ligne. C'est tout simplement énorme ! Essayez de tenir ce rythme pendant trois heures ! Vous ferez comme les candidats ayant choisi le sujet d'invention, et vous partirez bien avant le terme de l'épreuve.
| En mal d'invention
Il faut savoir que ce sujet, introduit en 2002 à la place de l'exercice dit de résumé-discussion, fait débat chez les profs de français du lycée.
Certains y voient le signe évident d'un "nivellement par le bas", puisque le sujet d'invention renoue avec les rédactions de collège, narratives pour la plupart, et avec le sujet d'imagination du brevet actuel. D'autres y voient un exercice intéressant, qui fait appel à la sensibilité et à la culture de lecteur des élèves et moins à leur capacités d'analyse.
Chez les pro, on peut distinguer ceux qui préfèrent les exercices d'imitation, qui s'appuient sur un texte précis, donné le jour de l'épreuve, ou bien sur la mémoire des élèves et un stock de textes de références dont ils peuvent tirer des citations, des images, des lieux communs, etc.
Il y a aussi ceux qui ne veulent pas entendre parler d'une rédaction d'imagination. Il ne s'appuierait pas sur un texte à pasticher et demanderait donc un "simple" effort d'invention de la part des candidats. Cela rappelle par trop le sujet du brevet et surtout, c'est plus dur à corriger : il serait possible, dans leur esprit, de réussir un tel exercice sans avoir travaillé de l'année. La dissertation ou le commentaire de texte, au moins, ça ne s'improvise pas !...
Seuls trouvent grâce aux yeux de certains les sujets qu'on appelle entre profs des "dissertations déguisées" : lettre à un metteur en scène, dialogue entre deux lecteurs, avant-propos de romancier... Il s'agit ici de détourner le sujet l'invention du côté du discours sur la littérature : l'invention n'est ici qu'habillage de la pensée analytique.
| Des sujets pas si bêtes
À la limite, peu importe.
Personnellement, la dissertation déguisée m'ennuie, je la trouve artificielle et bien moins intéressante à faire et à lire qu'une bonne vieille disserte. Je préfère largement un sujet comme celui des sections technologiques de cette année :
Un train raconte son voyage à travers des paysages, réels ou rêvés, en exprimant ses sensations et ses pensées.
Votre texte sera écrit à la première personne du singulier. Il comprendra une quarantaine de lignes au minimum. [Vous voyez : 40 lignes !]
Ou bien celui des ES/S :
À la manière des auteurs de ces romans, vous imaginerez le récit que pourrait faire un spectateur / une spectatrice d’une séance de cinéma qui l’aurait particulièrement marqué(e).
Votre texte, d’une cinquantaine de lignes, comportera les références au film, la description des émotions ressenties et des réflexions diverses suscitées par la représentation.
Ou encore celui des L :
Poursuivez, en une cinquantaine de lignes, le récit de l’extrait du Vicomte de Bragelonne (texte D) : une fois dans sa cellule, l’homme au masque de fer se remémore les circonstances malheureuses qui l’ont conduit en prison et exprime avec amertume sa désolation.
Votre texte reprendra certaines caractéristiques du texte d’Alexandre Dumas.
J'avoue ne pas être enchanté d'avance par la perspective de lire les descriptions des paysages traversés par ce train, forcément "magnifiques", ni de savoir que les narrateurs ont été "stressés" ou "choqués" (ce qui aujourd'hui veut dire : "sous le choc") au spectacle de quelque film d'action pour adolescent.
Mais il y a de quoi écrire de jolis textes, pour un élève qui prend du plaisir à écrire pour être lu, qui développe ses idées, prend le temps de décrire en détail un plan, une musique, un village traversé, l'évolution de la lumière ou bien celle d'un héros, qui tente un long passage de monologue intérieur, une analyse un peu construite de ce qu'il ressent !
Mais ce n'est pas possible en quarante lignes, ni en cinquante.
| Moins, c'est moins bien.
40 ou 50 lignes, c'est à peu près une page et demi ! Se restreindre autant, même avec la pudique formule "au minimum" (dont je peux vous garantir que les élèves ne se souviendront même pas l'avoir lue), c'est s'assurer d'une production sans imagination.
Les idées s'enchaînent forcément à la vitesse d'un train en marche, sans développement ou presque.
Les "émotions" et les "réflexions diverses" demandées par le sujet de ES/S ? Un ou deux lignes par émotion et par réflexion, se contentant de les énoncer, éventuellement de manière expressive (des points d'exclamation et des mots écrits en majuscules), pas plus. Peu d'analyse, de mise en perspective de ces émotions, pas de développement un peu poussé de ces réflexions.
On retombe dans le travers de ces récits sans queue ni tête que j'ai découvert en enseignant au collège, où l'on reste à la surface des événements dans un récit réduit à un squelette.
Et une fois que le candidat a atteint ses quarante ou cinquante lignes, c'est humain ! il s'arrête. Parce qu'il a fait ce qu'on lui a demandé. En tout cas, il ne viendra pas à l'idée de grand monde d'en écrire 90 lignes (3 pages) ou une feuille double. Parce que ce n'est pas ce qui est demandé.
| Des consignes pour les candidats ? Ou pour les correcteurs ?...
Sans doute ces consignes de longueur ont-elles pour but d'éviter le délayage, au profit de la densité.
Mais comment voulez-vous qu'un élève de 16-17 ans produise un texte dense sur de tels sujets ?
Pour cela, il faudrait maîtriser l'allusion, le sous-entendu, la suggestion, travailler chaque phrase en orfèvre, autant rythmiquement que stylistiquement. La densité est une prouesse, et c'est une telle prouesse qu'on demande à de si jeunes élèves, qui plus est des élèves qui ont lu peu de livres où le style est un enjeu !
Paradoxalement, la densité se trouve en allongeant son texte. Plus on doit remplir, plus il faut développer, se creuser la tête pour faire avec les idées qu'on a et les monter en épingle, ou plutôt faire monter la sauce. En fait, la densité se trouve seulement au risque du délayage.
Mais sans doute suis-je trop indulgent avec ces consignes. Il s'agit sans doute de limiter les exigences pour garantir des notes correctes. Amis correcteurs, ne vous avisez pas de reprocher aux copies une trop grande brièveté ! Si le texte fait 37 lignes (une grosse page), on ne peut rien lui reprocher...
| Le brevet des lycées
J'ai gardé pour la fin le clou du spectacle, qui m'a mis assez en colère.
Voici le sujet d'imagination donné l'année dernière au brevet des collèges :
« Il faut que je me lève, que je marche, que je parle à quelqu’un… »
Vous imaginerez la suite du récit, en montrant comment l’intervention d’un autre personnage permet au narrateur de sortir de sa situation. Votre texte devra mêler narration, description et dialogue.
Votre texte fera au moins deux pages (soit une cinquantaine de lignes).
Dois-je commenter ?...
Le sujet me paraît plus dur que ceux du bac (une suite de texte, avec son lot de contraintes vs une scène narrative libre). Et l'on demande à nos troisièmes d'écrire un récit aussi long que ce qu'on a demandé aux 1res S cette année ! Plus long que ce qu'on demande aux 1res de sections techno !
C'est-à-dire qu'un élève qui se débrouille à peu près en 3e sur ce genre de sujets peut s'arrêter de travailler pendant deux ans. S'il tombe sur un sujet d'invention de ce type, il pourra faire la même chose que deux ans auparavant, et il aura son bac comme il a eu son brevet.
| À la recherche de la longueur idéale
Faut-il supprimer le sujet d'invention, comme le voudraient les anti ?
Je ne le pense pas. Il suffirait d'exiger une longueur vraiment conséquente, suffisante en tout cas pour nécessiter une véritable réflexion sur l'invention (le nombre d'idées différentes et le développement de chacune d'elles), la disposition (leur enchaînement) et l'élocution (le style).
Quelle longueur, alors ?
À mon avis, on ne peut demander moins de 90 ou 100 lignes, soient trois pages pleines. J'irais même jusqu'à une feuille double complète dans les sections générales. N'oublions pas que les candidats ont quatre heures devant eux...
C'est seulement dans ces conditions que le sujet d'invention pourra être, non seulement juste, par rapport aux candidats qui ont pris le risque de prendre le commentaire de texte ou la dissertation, mais même simplement faisable.
Et si l'on accepte des formats plus courts, alors, j'exigerais volontiers que ces courts textes soient rédigés en vers réguliers, par exemple sous la forme d'un court discours d'alexandrins en rimes plates.
Pas sûr que ce soit la direction vers laquelle on tend...
Bientôt la rédaction en 140 caractères ?
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Commentaires
Bonjour,
Cette année, j'ai pris le sujet d'invention en S.
J'ai agi au mépris des consignes, dépassant largement les 50 lignes demandées, poussant à 200 je pense. Soit une copie double plus une page, une ligne sur deux, et écriture assez grande. Quels sont les risques ?
Je trouve moi aussi que 50 lignes est trop court.
Question subsidiaire, selon vous, le texte était-il à rédiger à la 3ème personne ou à la première ?