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Petit essai de bac-fiction : la spécialité "Humanités numériques"
Lors de la conférence de presse du 14 février 2018, Jean-Marie Blanquer a fait une annonce qui est passée un peu inaperçue. Parmi les matières proposées en Première et en "Classe de maturité" (l'ancienne Terminale) apparaît une nouvelle spécialité : les "Humanités numériques".
Nous avions d'abord pensé à un enseignement nommé "Humanités scientifiques et numériques", censé "donner à tous les lycéens les connaissances indispensables pour vivre et agir dans le XXIe siècle en approfondissant les compétences numériques de l’élève ainsi que sa compréhension des grandes transformations scientifiques et technologiques de notre temps (bioéthique, transition écologique, etc.)"
Cet intitulé a visiblement paru excessivement "nébuleux" au ministre et à ses conseillers.
Nous avons préféré parler d'"Humanités numériques", sans les lier aux sciences. Les sciences ont déjà toutes leur place dans notre projet. Il y avait de la place pour une matière qui revaloriserait la littérature et les humanités, dans une nouvelle offre.
Un membre du cabinet ministériel commente :
En fait, la première mouture était un mélange assez indigeste de notions à la mode, qui recoupaient d'ailleurs de trop près des éléments du programme des Sections STI2D. Et, de manière non négligeable, se posait la question de savoir qui allait l'enseigner. Nous n'avons pas voulu nous retrouver avec un "machin" indéfini et bien-pensant sur les bras.
Qu'est-ce donc que ces "Humanités numériques" ?
Il s'agirait de lier l'enseignement des Lettres en particulier, des Humanités en général, à des applications "numériques", en réalité proches des réalités économiques et des métiers susceptibles de recruter des élèves "littéraires".
Nous aurions tout aussi bien pu parler de "Lettres appliquées", comme on parle de "Maths appliquées" ou d'"Arts appliqués", confie un des membres de la commission Mathiot.
L'adjectif "numérique" est là pour rappeler que cette application d'une culture littéraire passe aujourd'hui par l'utilisation et l'exploitation des supports numériques, soit comme moyen de conception, soit comme support de diffusion.
Le but de cette spécialité ? Donner aux humanités un air de modernité en en montrant l'utilité pratique dans la société, l'économie et la culture actuelles.
Contrairement aux Humanités numériques telles qu'on les conçoit dans le supérieur, il ne s'agit pas d'appliquer le numérique à la recherche en sciences humaines : "Le niveau de technicité demandé par de tels travaux n'est ni envisageable ni utile au niveau du lycée", précise-t-on. Il s'agit au contraire d'appliquer la "culture humaniste" à des pratiques aujourd'hui en plein essor.
Quels programmes ?
Ce sont ces pratiques qui devraient, si tout se passe comme prévu, structurer les programmes de la discipline en quatre grands objets d'enseignement :
1| Scénariser
La culture littéraire, historique et artistique est fondamentale, à l'heure du "storytelling", des jeux-vidéos, des contenus vidéo et audio diffusés massivement sur internet, les réseaux sociaux, la presse en ligne, etc.
Scénariser, raconter de manière efficace et ciblée, est une activité qui revient de droit à des profils "littéraires".
2| Communiquer
Les élèves devraient s'entraîner à communiquer sur toutes sortes de supports. Publicité, communication institutionnelle, interne ou externe, sont des domaines où l'aisance à parler, écrire, raconter, expliquer et argumenter est requise.
3| Editer
Le numérique conduit à une explosion de la diffusion des textes, et à la présence du texte sur une multitude de supports. Dans cette ère de "la mise en page", les élèves littéraires doivent savoir donner une forme concrète aux idées.
4| Transmettre
La culture littéraire, artistique, historique doit permettre de mettre en perspective la culture d'aujourd'hui.
Commenter un exposition de musée, un programme télévisuel, être capable de transmettre un savoir à des enfants, à un public adulte, novice ou expert, sont des activités proprement "littéraires", au sens large où nous voulons l'entendre.
Et en pratique ?
La question des professeurs mobilisés par cette nouvelle matière a été posée au ministre. Selon Jean-Marie Blanquer, les professeurs de lettres sont amenés à pouvoir dispenser cet enseignement : "Une certification spécifique sera mise en place. Il est hors de question de proposer un nouvel enseignement sans former sérieusement le personnel destiné à le mettre en oeuvre."
On envisagerait aussi d'associer à cette spécialité les professeurs d'arts appliqués des lycées polyvalents et les professeurs de la spécialité Art des lycées généraux, quitte à en recruter davantage d'ici la mise en place de la réforme. En effet, "les Lettres appliquées sont aujourd'hui indissociables de l'image et donc des Arts appliqués".
L'enseignement serait à la fois pratique (utilisation de logiciels d'édition, de supports en ligne, création et diffusion de contenus, etc.), théorique (histoire des médias, théorie de la communication) et culturel :
Il ne s'agit pas de faire des activités pour faire des activités. Le cœur de cette spécialité n'est pas la transmission d'une culture humaniste mais son utilisation. Mais il faudra éviter à tout prix l'écueil d'un enseignement vide connaissance.
Les élèves littéraires pourront avantageusement lier cette spécialité avec celle de Lettres et philosophie ou d'Arts. Ne parlons pas de l'option Langues anciennes : plus un élève aura de connaissances variées, mieux il pourra s'en servir dans d'autres contextes.
Le but est de faire des élèves de futurs étudiants et travailleurs cultivés, sachant mettre en oeuvre leur culture hors des filières traditionnellement réservées aux anciens L : la recherche, et surtout le professorat.
La L souffrait d'un déficit d'attractivité à cause d'un apparent manque de débouchés, en comparaison avec les filières S et ES. Cette spécialité montre qu'on peut être un élève "littéraire" et prétendre accéder à des métiers divers, et surtout toujours plus nombreux.
Derrière ce nouvel enseignement, on perçoit donc une véritable volonté politique de remettre à l'honneur la culture littéraire. Une manière de sortir la voie littéraire de l'ornière dans laquelle elle était plongée depuis des lustres.
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