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Programmes de français à l'heure du Bac2021 : une nouvelle "philosophie" ?
Quand tu passes de #college2016 à #bac2021.
Je suis arrivé au lycée juste avant que soient appliqués au collège les "nouveaux programmes" rédigés en 2015 par le Conseil Supérieur des Programmes (CSP) ancienne mouture, avec Michel Lussault comme président.
Si j'ai pu combattre certains aspects ces nouveaux programmes de français, j'avoue avoir été soulagé de retrouver les programmes du lycée. Ils sont imparfaits, on le verra, mais ils sont bien meilleurs que les programmes d'apprenti-sorcier qui ont cours aujourd'hui de la 6e à la 3e.
Et voilà qu'un soupçon me taraude, une sourde inquiétude qui me regarde par dessus l'épaule quand je prépare mes cours.
La réforme du bac 2021 ne sera-t-elle pas le remake inversé de la réforme du collège 2016 ? Les nouveaux programmes avaient commencé d'être rédigés avant la réforme du collège; la réforme du lycée sera suivie d'ajustements programmatiques.
À nouveau bac, nouveau cours français !
Jetons un coup d’œil aux implications de la réforme pour les Lettres.
Si on regarde le fonctionnement du nouveau bac, la filière L est dissoute au profit de spécialités potentiellement choisies par tous les élèves du lycée général.
Les spécialités "Arts", "Langues et cultures étrangères" et "Mathématiques" sont les héritières des spécialités du bac L.
On remarque seulement que celles-ci ne feront normalement pas l'objet de programmes spécifiquement "littéraires" puisque, d'après les annonces, tout le monde pourra les prendre. Remarquons au passage que la spécialité "Droit et grands enjeux du monde contemporain" et celle dédiée aux langues anciennes sont rétrogradées en "Enseignements facultatifs" (et pan sur le latin et le grec !)
Mais la grande nouveauté, c'est le fait que la littérature devient elle aussi une spécialité. Aujourd'hui, tous les L suivent 6h de cours de lettres par semaine. Demain, tout les élèves de 1re pourront ajouter aux 4h de français de tronc commun 4h d'"Humanités, littérature et philosophie".
C'est un gain indéniable : un "scientifique" féru de littérature pourra approfondir son goût, ce qui était impossible autrefois (si la confection des emplois du temps le permet, bien sûr : sans doute un casse-tête dans les petits établissements...)
C'est une perte : ce qui était un cours de "Littérature renforcée" peut tout à fait être abandonné par les ex-"littéraires", au profit d'autres spécialités.
Si l'on pèse le pour et le contre, ce changement est positif. Les élèves de spé "Philo-Lettres" peuvent espérer avoir 6 heures de français en 1re, comme aujourd'hui. À condition que la philo joue le jeu et ne prenne que la moitié des 4h allouées.
Ce serait déjà l'assurance de mettre un pied en 1re et d'étaler cet enseignement sur 2 ans. Ce serait surtout la perspective de gagner une heure de philosophie en plus dans la totalité du cursus (2h de spé en 1re ; 4h de tronc commun + 3h de spé en terminale, soit 9h étalées au lieu des 8h massées actuellement).
Le français y gagnerait aussi une heure, en passant de 2 ridicules heures dans la Terminale actuelle à 3h en 2021.
À nouveaux cours de français, nouveaux programmes !
Mais c'est surtout l'association de la littérature et de la philosophie, sous l'égide, toujours très classieuse, des "Humanités", qui me fait faire des sueurs froides.
A priori, cette association est plus que légitime. La littérature a une portée philosophique indéniable ; la philosophie doit beaucoup à la littérature. D'ailleurs, c'est souvent par le "sens" des textes et des œuvres qu'on peut capter l'intérêt des adolescents.
Mais cette interdépendance n'est pas exclusive. La philo se nourrit de bien d'autres choses que de littérature. Pour ce qui est des Lettres, une association avec les arts aurait été plus que légitime, si l'on considère la portée esthétique de toute oeuvre littéraire.
Associer littérature et philosophie dans un même programme, au détriment des arts, laisse supposer que la littérature est au service d'une réflexion philosophique.
Il y a tout à craindre que les concepteurs des programmes (le CSP nouvelle mouture, dont la présidente, Souâd Ayada est doyenne de l'Inspection générale de philosophie ?) optent pour une reconduction d'un programme thématique, fait de sujets conceptuels, comme l'est l'actuel programme de philosophie en terminale. Les programmes thématiques sont pour les concepteurs de programme (d'histoire, de français, etc.) ce qu'est l'anneau pour Frodon : une éternelle et séduisante tentation.
Et là, c'est le drame ! Les "nouveaux programmes" de collège sont eux-mêmes thématiques. On y étudie des "questionnements" (c'est plus dynamique que "thématique") comme "Regarder le monde, inventer des mondes" ou bien "se chercher, se construire".
On espère pouvoir faire confiance aux philosophes qui se pencheront sur la question pour éviter de telles nébulosités. Mais le principe même de programmes thématiques est à bannir de la partie "littéraire" de cette spécialité !
Aujourd'hui déjà, les programmes de français de 2010 mélangent entrées génériques, chronologiques et thématiques. Le résultat est plus ou moins heureux, mais les intitulés thématiques restent de bon aloi : "La quête du sens" en poésie (assez nébuleux, pour le coup), "Le personnage" pour le roman, "Texte et représentation" pour le théâtre", etc.
Rien de bien contraignant pour le professeur, qui est assez libre de choisir les œuvres qu'il veut étudier. Il reste aussi assez libre (avec un peu de bonne volonté) d'éviter des groupements de textes thématiques destinés à traiter de front la question du programme : ils sont souvent caricaturaux, confus et peu mémorisables, à cause des problèmes de contextualisation qu'ils posent aux élèves.
C'est le contraire au collège, où il faut faire des groupements de texte si l'on veut que les élèves aient vu le point au programme.
Surtout, les approches générique et historique sont maintenues. Elles ne sont pas l'alpha et l'oméga de l'enseignement de la littérature certes, mais elles sont tout de même des composantes essentielles à la constitution d'un début de culture littéraire, objectif assez raisonnable pour des élèves qui ont entre 16 à 18 ans.
La philo et le reste...
Attention, ma crainte n'est pas celle de voir accentuée la partie philosophique de l'étude des oeuvre littéraires au lycée. Celle-ci est plus que nécessaire, parce que les élèves s'y intéressent et parce qu'elle permet de contrebalancer la tendance techniciste et nomenclaturale qui est celle de l'enseignement du français depuis les années 70. (Pour faire simple : on étudie les champs lexicaux et on se triture les méninges pour classer un poème dans la littérature baroque ou la littérature classique.)
Mais par pitié, pas de liste de thèmes ou de questionnements imposée, répartis en programmes annuels qui plus est ! Ou alors, une liste extrêmement large, de manière à pourvoir aborder la signification de nos œuvres sans qu'il y ait de sens interdits ni de sens unique.
Qu'on veuille encourager un travail commun entre professeur de philosophie et professeur de français, pourquoi pas ? Mais il faut absolument en préserver l'objectif spécifique de l'enseignement de la littérature au lycée : la compréhension des œuvres.
Comprendre, ce n'est pas que reformuler et articuler dans un système conceptuel abstrait. C'est surtout apprendre à éprouver de manière concrète, en tant que lecteur, la trajectoire d'un personnage, la profondeur d'une voix, incarnation plus ou moins précise, plus ou moins confuse d'un idée.
Paradoxalement, un programme historique et générique laisserait plus de liberté pour aborder la dimension philosophique de la littérature, à condition sans doute d'améliorer la manière d'aborder ces deux composantes, en les éloignant du technicisme et de la nomenclature.
C'est là une piste de travail stimulante, que ne contredit pas essentiellement une collaboration avec la philosophie. Mais il ne faudrait pas croire qu'on a guéri le malade en le changeant de lit...
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Commentaires
1MissIsaSamedi 31 Mars 2018 à 18:44Merci pour cette analyse! Contrairement à vous, j’entends la virgule qui sépare Humanités, littérature et philosophie comme une virgule et non deux-points : ce mot recouvre selon moi a minima la culture antique, voire la sociologie, la psychologie - les sciences humaines. Par ailleurs, comme cette spécialité sera sanctionnée par une épreuve commune, que tout professeur chargé de l’enseigner devra être à même de corriger, j’en déduis, mais je peux me tromper bien sûr, que le programme de cette spécialité sera composé de grandes questions qui traversent l’histoire des arts et de la pensée. Genre Culture générale des BTS, littérature et société des Secondes, avec ou sans bibliographie suggérée ou imposée. De grandes questions potentiellement variables d’une année à l’autre. Le politique prévaudrait vraisemblablement sur l’approfondissement disciplinaire...Répondre
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