• "Vous pouvez (ne pas) répéter la question ?"

     

     

     "Vous pouvez répéter la questiooonnn ? - Je peux répéter la question."

     

    En cours de français, au lycée, les élèves savent répondre à une question portant sur un texte. Ou plutôt, il savent comment il faut le faire (le faire, c'est parfois une autre histoire...)

     

    1/ "On reprend les mots de la question !" 

    Voilà la formule qu'on entend ad libitum. Reprendre les mots de la question, pour eux, cela veut dire commencer à répondre en décalquant la formulation de la question.

    Quelle est la figure de style employée par l'auteur au vers 3 ?

    devient

    La figure de style employée par l'auteur au vers 3 est [insérer la réponse de votre choix].

    Il suffit "d'inverser" l'inversion du sujet, et c'est bon !

    Pourquoi l'auteur utilise-t-il l'imparfait à la ligne 23 ? 

    devient

    L'auteur utilise l'imparfait à la ligne 23 parce que [...].

    (Tout excès de technicisme dans le choix de ces questions n'est que pure coïncidence...) 

    On me dira qu'au moins ils prennent la peine de "faire une phrase" (c'est la formule rituelle). Certes, mais je ne suis pas du tout sûr que la présence d'une phrase garantisse en l'occurrence que l'élève ait réellement pensé à la formulation de son idée. 

    Je vois au contraire des élèves qui croient dur comme fer qu'ils ont "fait le job" à partir du moment où ils ont répondu de cette manière. Difficile de faire comprendre ensuite que la formulation doit s'adapter à la pensée...

    En général, la phrase est composée (si l'on peut dire...) en deux temps.

    D'abord le début, décalque de la question. Puis la réponse, souvent introduite par deux points, au mépris des règles élémentaires de la ponctuation qui interdisent de séparer le verbe et un attribut du sujet par deux points (sauf en cas d'énumération) : 

    Le point de vue utilisé par l'auteur est : un point de vue externe.

     

    Problème : souvent, cette technique aboutit à des produits finis complètement défectueux. 

    Je pense aux ruptures de constructions : 

    Les caractéristiques de la vie de bohème sont : pauvres, faire la fête, draguer des comédiennes [sic. mais c'est la faute de mon cours, ce genre de remarques.]

    Bien souvent, dans un contrôle de connaissances, l'élève qui n'a pas révisé prend tout de même la peine d'écrire le début de la réponse, jusqu'aux deux points.

    La figure du poète depuis l'Antiquité est : [blank]

    Malheureusement, la phrase en reste là, faute de connaissances susceptibles d'être vraiment contrôlées. 

     

    2/ Répondre, en conduite automatique

    Passons sur la difficulté qu'il y a à faire passer les élèves de la fameuse "réponse en une phrase" à une véritable réponse rédigée, qui doit forcément prendre la forme d'un paragraphe, court ou long.

    Passons aussi sur le technicisme inhérent à ce genre de questions à réponses courtes, qui écartent mécaniquement des questions portant sur l'interprétation ou sur le lien entre analyse et interprétation. 

    Le vrai danger est de dissocier, comme on l'a vu, le fond et la forme, la pensée et la formulation. 

    On comprend aisément les collègues qui font ainsi. Ils essaient de parer à la tendance des élèves à répondre sans faire de phrases. Ils sur-investissent la forme (en rhétorique, l'elocutio) dans un exercice qui fait surtout travailler les compétences d'inventio (la recherche des idées).  

    Pour ma part, je ne vois pas le scandale qu'il y a à accepter, dans le cadre de ce genre de questionnaires, les réponses non rédigées. Un élève qui répondrait correctement sans rédiger mais serait par ailleurs capable de rédiger un paragraphe de plusieurs phrases de manière correcte serait-il un élève perdu pour la cause des études littéraires ?

    Si l'on pense ainsi, c'est qu'on souscrit à une vision purement contestable de la progressivité de l'apprentissage de la rédaction. Il faudrait rédiger des réponses courtes avant de pouvoir rédiger des réponses longues. Mais la réponse à une question est-elle véritablement le lieu idéal pour s'entraîner à rédiger des paragraphes corrects ? 

    Quelle que soit la réponse à cette question (qui diffère sans doute si l'on parle de l'école primaire ou du secondaire), régler les problèmes posés par l'apprentissage de la rédaction de phrase par une technique mécanique est une fausse bonne idée. On bloque le véritable apprentissage, la véritable progression entre phrase et paragraphe. Au lieu d'éduquer le couple formé par l'esprit et la plume, on crée de mauvaises habitudes. 

    Il faudrait au contraire apprendre aux élèves à répondre de manière "naturelle". Les élèves savent répondre à un question à l'oral. Il faut seulement redresser les formulations instinctivement bancales de l'oral (plus facile à dire qu'à faire il est vrai).

     

    3/ Le difficile apprentissage de ce qu'on sait déjà faire

    Pour cela, il faut autoriser l'usage des pronoms dans les réponses. Les élèves se croient obligés de reprendre intégralement les dénominations de la question, alors que personne ne fait cela à l'oral. Ce faisant, ils dissocient dans leur esprit les formulations de l'écrit, perçues comme anti-intuitives, et celles de l'oral.

    Ecrire devient une opération étrange et arbitraire. Si le prof veut que je répète les mots de la question, je répète les mots de la question...

    Le risque est grand, et selon mon expérience, avéré, de ne pas voir l'utilité de reporter les savoir-faire de l'écrit dans la conversation de tous les jours. En classe, j'écris comme on me dit, sans en voir l'intérêt. Dans la cour de récréation, je parle mal, mais comme je veux. 

    Les pronoms personnels et les verbes vicariants comme "faire" sont des outils "naturels" de la réponse à l'oral. On ne voit pas pourquoi il faudrait répéter "L'auteur" dans la réponse alors que le nom figure une ligne au-dessus, dans la question. 

    Autre remède (même si l'apprentissage de la rédaction excède de loin l'exercice des réponses aux questions) : reprendre les mots, mais dans le désordre

    Le point de vue utilisé par l'auteur est : externe.

    devient

    Il utilise un point de vue externe. 

    Dernière consigne : ne pas hésiter à enlever des éléments dans la question. À la question : 

    Pourquoi l'auteur utilise-t-il l'imparfait à la ligne 23 ? 

    on peut répondre : 

    L'imparfait est utilisé pour.... (Exit la mention de l'auteur et de la ligne, grâce à la tournure passive, d'ailleurs.)

    Pour ma part, je conseille aux élèves, dans le cas où on leur demande de répondre avec une phrase, non pas de reprendre les mots de la question, mais de reprendre UN mot de la question et de la poser comme SUJET de la réponse

    Une fois "posé" le sujet, éventuellement remplacé par un pronom, oublier les mots de la question et répondre avec ses mots à soi.

    L'imparfait [pause] permet de raconter le départ de Rimbaud comme s'il était en train de la faire. ("Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées")

    Cette technique exige de poser son stylo (on pourrait le faire faire concrètement au primaire et en début de collège), de formuler la phrase dans sa tête, et ensuite seulement de reprendre son stylo afin de noter la phrase, comme si on se faisait la dictée à soi-même.

     

    ***

    Pas de recette miracle, donc. Mais déjà, arrêtons de penser qu'on améliore la rédaction en faisant ce genre d'exercice, en tout cas au niveau du collège. En primaire, il n'est pas inutile d'apprendre à formuler des phrases de réponse de ce type. Mais passé un certain stade de compétence, des effets secondaires apparaissent : psittacisme, fautes de syntaxe, dissociation de la pensée et de l'expression...

    Face à ce problème, pas de moyen terme : soit l'on enseigne vraiment aux élèves à penser à ce qu'ils écrivent, soit on leur donne des astuces qui les empêche d'y penser. 

    Le choix est vite fait...

     


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :