• Les illustrations dans les anciens manuels d'histoire : 5 avantages pédagogiques.

    Nouvelle présentation d'un argumentaire tiré d'un article beaucoup plus long.) 

    Cours sur les manuels d'histoire dans une école normale des années 70.

    Vous connaissez les images d’Épinal, les bonnes vieilles illustrations des manuels d'histoire de la IIIe République ? On se moque souvent d'elles, mais on tenait là un des plus efficaces outils pédagogiques qui ait existé pour enseigner l'histoire à l'école primaire.

    Voici cinq raisons de revenir aux illustrations d'antan.

    1) Des outils pour se projeter dans le passé

    Les dessins de l'époque sont proches de celui des livres pour la jeunesse des années 40 et 50 : couleurs en aplat et formes simplifiées. Les albums du Père Castor sont passés par là, et leur style a essaimé dans les ouvrages scolaires.

    Ce type de dessin a de grandes propriétés identificatoires. Comme l'a montré Scott McCloud dans Understanding comics, plus le dessin est « iconique » (simplifié), plus le lecteur se reconnaît dans les personnages dessinés : ils sont d'autres lui-mêmes. Plus le dessin est réaliste, plus le lecteur perçoit l'altérité de ces personnages :

    « Ainsi, si vous regardez la photographie ou bien le dessin réaliste d’un visage, vous percevez ce visage comme appartenant à quelqu’un d’autre. Mais si vous entrez dans le monde du cartoon, c’est vous-même que vous voyez. »

    Le jeune élève est plus immédiatement concerné par la représentation stylisée, par exemple, d’un homme de Néanderthal, de son front bas, de ses jambes arquées et de ses peintures corporelles, que par des photographies de percuteur et de silex. On observe d'ailleurs que les photos et les représentations d'époque étaient introduites très progressivement dans les manuels du primaire. : jamais avant le CM, et jamais au détriment des illustrations modernes.

    On a souvent dit à l’époque que le dessin était plus « vivant ». Il faut prendre cet adjectif au sens propre : l’illustration stylisée est le réceptacle d’un peu de la « vie » de l’enfant qui l’observe. Observant le dessin, il entre de plain-pied dans une histoire qui devient un peu la sienne.

     

    2) Un passé homogène et donc facile à imaginer

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Quel contraste entre les manuels d'histoire de 2016 et ceux de 1956 !

    Aujourd'hui, la mise page des manuels mêle photographies, croquis, dessins d'illustration et représentations d'époque (gravures, peintures, etc.), formant un véritable patchwork.

    Autrefois, en CE, l'illustration occupait toute la place. Même certains documents étaient redessinés pour l'occasion. Au CM, on introduisait prudemment quelques reproductions originales, en les intégrant en tant que telle dans la mise en page. Pas de fourre-tout visuel, de doubles pages surchargées.

    On faisait le pari que l'élève avait d'abord besoin d'unifier, d'homogénéiser son rapport au passé. Au lieu de laisser le soin de cette unification à l'imagination des élèves, forcément insuffisante à cause du manque de connaissances, on chargeait le dessinateur de lui faciliter la tâche en créant un univers cohérent. Tracés du même trait, époques, civilisations, tableaux, récits et portraits appartenaient tous au même monde imaginaire.

    Ces représentations homogènes et rassurantes, accueillantes pour l'imagination enfantine, ont volé en éclat. On est passé d'une représentation « iconique » à une représentation « indiciaire » du passé (pour reprendre les concepts de Charles Sanders Peirce) : l'image est doit maintenant être un « indice » du passé, une trace, et non plus son équivalent analogique. La charge cognitive s'en est trouvée considérablement alourdie. : l'élève doit accomplir le même effort d'imagination que l'historien.

    Cette évolution est dommageable. L'élève a d'abord besoin de faire l'hypothèse de la cohérence du passé. Ensuite, il pourra accueillir toutes les informations et les

    Comment serait-il possible de questionner le passé si ce passé n'est qu'un amalgame disparate ? Comment trouver des faits pertinents ? Comment élaborer un raisonnement cohérent à propos d'un monde incohérent ?

    L'enjeu du cours d'histoire dans le secondaire est de dépasser l'univocité d'une telle présentation initiale. Mais on ne voit pas comment enseigner des éléments d'historiographie sans qu'il y ait en premier lieur une histoire à remettre en cause.

    3) Des fenêtres sur le passé

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Chaque illustration constitue une entrée vers le monde qui l’englobe. Elle est un point de départ, à partir duquel l’imagination et le raisonnement peuvent reconstruire des pans entiers de la réalité passée.

    Le passé est en effet convoqué dans ces images par une foule de détails savamment agencés et entretenant des liens nombreux avec le monde à l'extérieur du cadre.

    Très souvent, un des éléments du dessin supposait, pour être compris, qu’on postule qu’il n'était qu’une partie d’un tout extérieur à la scène représentée.

    C'est un plat doré que l'on distingue nettement, posé contre la paroi d'une hutte, dans un chapitre sur les Gaulois. N’est-ce pas pour suggérer l’existence d’une métallurgie ? L’enseignant aura beau jeu d’attirer l’attention des élèves sur ce détail pour rendre nécessaire de faire des hypothèses sur sa fabrication.

    Autre exemple, dans le Bernard-Redon, le pavage de la rue nîmoise sur laquelle circule les soldats gallo-romains est repris dans le texte l’accompagnant par la phrase suivante : « Les belles routes romaines servent aux soldats : où vont-ils ? » Un seul élément de l’image, accompagné d’une simple question, permet d’évoquer à la fois le réseau de routes romaines, la technique de leur construction, leur utilité militaire, mais aussi une certaine idée de l’urbanisme romain, caractéristique par sa « beauté ».


    4) Une observation guidée

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Ces images étaient problématisées par les textes qui les accompagnaient. Par exemple, sous le dessin de la hutte, la question elliptique « Fenêtre ? » rend problématique un détail qui n’avait aucune chance de l’être chez la plupart des élèves. Chaque question est une courte problématique qui donne sens à des éléments a priori triviaux.

    L’enfant n’est pas laissé seul à faire des observations et des inductions sauvages : le maître est là pour orienter, guider et canaliser les remarques des élèves. Le texte du manuel est son représentant livresque. Le dessinateur et le programme qu’il suit sont là pour susciter et faciliter ces remarques.

    Le dessin représentant « Les premiers hommes » dans le Brossolette-Ozouf oppose premier et arrière-plan, les chasseurs de dos ramenant une proie dans leur grotte, les femmes plantant maniant le bâton à fouir. C’est toute une répartition sociale qui est suggérée, à la charnière des sociétés de chasseurs-cueilleurs et des premiers cultivateurs. Mais la comparaison des images peut être encore plus explicite, par exemple dans le très répandu exercice de la comparaison des armées :

    Il est donc possible d’organiser la matière historique, au sein d’une grande image ou par l’opposition de plusieurs vignettes, dans des séries qui prêtent aisément à discussion.

    C’est une réflexion inductive qui est proposée à l’élève, mais jamais celui-ci n’est laissé à lui-même. Le terrain est pour ainsi dire préparé, déblayé pour laisser libre court à l’esprit enfantin, qui observe, compare, induit en confiance.


    5) Un dispositif graphique efficace

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Dans ces manuels, à côté des scènes mettant en scène des personnages historiques en action, se multiplient des « tableaux » descriptifs. Mais la présence croissante de ce type d'image n'est pas seulement due à un intérêt de plus en plus grand pour l'histoire non événementielle. Elle témoigne surtout du succès d'un dispositif graphique spécifique : les images foisonnantes. J'emprunte le terme à ma collègue du GRIP Catherine Huby : il est préférable à celui « d'images grouillantes » qu'emploie le théoricien de ces images, Thierry Smolderen.

    Que sont les images foisonnantes ? Tout simplement de grandes images qui « grouillent » de détails sur toute leur surface, comme dans les albums d'« Où est Charlie ? ». Le foisonnement de détail des illustrations d'histoire est certes moindre, mais le mécanisme est le même. On le voit par exemple dans cette planche du Chaulanges, consacrée aux « Travaux et misères des paysans ».

    Un lecteur enfant ne peut qu'être happé par de telles images. Les « images grouillantes » des manuels d'histoire ont peu à peu sélectionné le dispositif graphique le plus attirant qui soit pour les élèves, celui qui les laisse le moins passif et les contraint, en quelque sorte, à observer. L'usage didactique de ces images permet même d'avancer une hypothèse.

    Ces images ont la faculté de faire se perdre dans un autre monde, celui du passé, et de lancer celui qui les observe dans la poursuite d'une cohérence, d'une intention, d'une structure. Elles ont aussi le mérite de réjouir l'œil et l'esprit par le spectacle de la diversité.

    Autre qualité : elles suscitent de la part du lecteur des opérations d'« association libre ». Ce faisant, elles permettent de souligner les différences entre les choses du passé, et de les comparer les unes aux autres. Dans la page du Chaulanges, l’œil et l’esprit distinguent plusieurs espaces compartimentés (les douves, le talus, le chemin, le pré, le champ, le village, la futaie, le château). S’opposent les corvées fatigantes et ingrates, les travaux pénibles des campagnes, des productions, des animaux, des postures et des terrains variés.

    On ne peut donc les contempler un peu attentivement sans s'engager dans un travail d'analyse et de comparaison. Elles contribuent grandement à éduquer les capacités d'induction des élèves en faisant de celle-ci, non pas un devoir, mais une nécessité. Si on voulait être paradoxal, on dirait que de telles images se prêtent davantage à la leçon de choses que les choses elles-mêmes.

    ***

    On constate avec peine la disparition des ces illustrations qui étaient bien plus que l'ornement suranné de manuels à la pédagogie au contenu obsolète. 

    Ou plutôt, on la constate dans les manuels scolaires actuels. Si l'on jette un œil sur l'édition enfantine, les magazines, les livres de vulgarisation pour tous les âges, on constate une persistance de ces images synthétiques. 

    Il y a donc d'une part les enfants à qui les parents peuvent et veulent donner des connaissances historiques, et qui profiteront de cette migration éditoriale des illustrations d'histoire, d'autre part les enfants qui n'auront que ce que leur donne l'école, c'est à dire presque rien.


  • Commentaires

    1
    Dimanche 13 Mars 2016 à 22:12

    Daniel Picouly serait bien de cet avis , à la lecture de

    http://www.amazon.fr/Nos-histoires-France-Daniel-Picouly/dp/2842304233

    où en prime on retrouve une bonne partie de ces images qui ont forgé notre conscience historique

    2
    julie
    Dimanche 20 Mars 2016 à 16:53

    dans le creuzot de la fabrique de l'histoire, l'image d'épinal et sa fonction de propagande de la quatrième république...au secours ! évitez cela à vos enfants et ouvrez leur la voie d'une histoire scientifique, basée sur le doute, la recherche, la reflexion et la connaissance, pas sur ces vieilles images faussées à oublier !

      • Dimanche 20 Mars 2016 à 17:19

        Je crois qu'il faut que vous lisiez l'article, Julie. Qui a dit qu'il fallait utiliser CES images ?

        Quand à "l'histoire scientifique, basée sur le doute, la recherche", pardonnez-moi de trouver cette formulation très exagérée pour désigner l'enseignement de l'histoire au primaire. Douter, réfléchir, rechercher, oui, mais à la mesure des élèves. 

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