• Les méthodes pédagogiques sont-elles solubles dans la politique ?

     

    Quand une locomotive progressiste rencontre une locomotive réactionnaire.

    Ces deux dernières semaines, on a vu se multiplier les interventions médiatiques visant à définir les camps en présence dans le champ pédagogique. 

    Laurence De Cock du collectif Aggiornamento et Grégory Chambat du groupe Questions de classes renvoient dos-à dos "réac-publicains" et libéraux dérégulateurs, au profit d'une "pédagogie critique" (en fait, la pédagogie moderne libérée de sa récupération libérale).  

    Alain Beitone, membre du GRDS (affilié communiste), propose une "troisième voie" pédagogique, une pédagogie "explicite". Il rejoint en cela feu-"La troisième voie" Bernard Appy, version française de la pédagogie explicite québécoise. 

    Le point commun ? L'amalgame entre des choix de méthode (B-A-BA, cours magistral, ou au contraire constructivisme et méthodes actives) et des orientations politiques. Certaines sont réacs, essentiellement de droite ; d'autres sont progressistes, et donc de gauche. Certaines vont dans le sens du libéralisme ; d'autres dans le sens d'une démocratisation des savoirs émancipatrice. 

    Ma propre distinction entre modernisme et anti-modernisme n'emballe pas, à cause justement de son aspect apolitique. Il est vrai qu'il est classique de taxer d'idéologie ceux qui pensent pouvoir se passer de la politique pour analyser la réalité.

     

    Pour ma part, je ne pense pas qu'il y ait un lien essentiel entre les méthodes et l'orientation politique. Le principe de la technique est justement de pouvoir s'émanciper de la politique. 

    Je ne dis pas que certaines associations entre pédagogie et politique ne soient pas pertinentes, à une époque donnée. Ce fut le cas par exemple des méthodes coopératives de Freinet et du communisme. 

    Mais ces associations sont faites pour évoluer. Le parti communiste a cherché des noises à Freinet, l'associant à Vichy, ou au libertarianisme. Aujourd'hui, la pédagogie coopérative essaime dans les campus, dans l'école numérique de Xavier Niel, 42, etc. Les compétences de travail de groupe sont en effet extrêmement valorisées par les entreprises.

    De même, la pédagogie Montessori sert de caution à la montée des écoles hors-contrat, via le succès du livre de Céline Alvarez notamment. On est loin de l'inspiration catholique originelle de Maria Montessori.

    Le cours magistral, inventé en son temps pour permettre à chaque élève un discours adapté à son niveau, est perçu aujourd'hui par beaucoup comme un outil pédagogique autoritaire, "descendant", comme on dit. Et la dictée, instrument d'éducation du peuple sous la IIIe République, devient l'emblème d'une pédagogie réactionnaire et élitiste. 

    Ces reformulations politiques successives des techniques pédagogiques supposent chez elles une certaine indépendance idéologique. Les mouvements pédagogiques étant souvent définis par leurs finalités politiques (souvent de gauche), il est compréhensible qu'ils tentent de préserver une certaine pureté idéologique, ce qui les amène à caricaturer leurs opposants. 

    ***

    Il n'y a donc pas lieu de classer les mouvements pédagogiques en réacs, libéraux, collectivistes. Il vaut mieux s'attarder à leur contenu objectif et, comme je l'ai proposé, ce à quoi ils s'opposent, qui constitue leur véritable point commun, au-delà de l'immense variété dont ils font preuve. 

    Ne soyons pas naïf : les récupérations politiques existent. Les anti-modernistes sont récupérés par la droite extrême et l'extrême droite. Idem pour les modernistes et une branche du libéralisme politique. C'est d'ailleurs ce qui devrait faire réfléchir à deux fois ceux qui accusent le camp d'en face de libéralisme ou de fascisme. 

    Mais il faut avoir conscience que l'histoire de la pédagogie est l'histoire des récupérations successives des techniques pédagogiques. Élaborées dans certains contextes politiques, elles prennent paradoxalement leur indépendance en passant successivement de main en main, de droite à gauche.

    Il faudrait aujourd'hui cesser de juger ces techniques sur leurs caractéristiques politiques. Halte au délit de faciès. Un éclectisme contemporain, capable de piocher ici et là en fonction d'un projet d'éducation et d'instruction, doit pouvoir faire abstraction du politique au moment de choisir les moyens pour le mettre en oeuvre. 

     


  • Commentaires

    1
    Jeudi 20 Octobre 2016 à 21:56

    "en fonction d'un projet d'éducation et d'instruction" : ne retrouve-t-on pas la politique ici ?

    Peut-on toujours séparer la méthode utilisée censée être un simple outil neutre politiquement, du projet éducatif (par exemple, rendre l'homme libre ou lui donner seulement les aptitudes nécessaires pour remplir sa fonction dans la société) qui l'utilise comme moyen ?

    Il faut aussi parler des programmes et des contenus et articuler programmes, méthodes et projet éducatif d'ensemble. 

      • Jeudi 20 Octobre 2016 à 22:25

        Tu as bien sûr raison. J'aurais dû ajouter que la politique a bien plus d'influence sur les finalités éducatives que sur les modalités. En fait, j'y avais pensé, mais bien après avoir publié. Je laisse donc en état.

         

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