• Nouveaux programmes de français : critiques et propositions du GRIP

     

    Le 17 juin 2015 avait lieu une "rencontre sur les programmes de français", réunissant les associations disciplinaires concernées et les membres du CSP, sous la direction d'un de ses membres, Denis Paget.

    Le GRIP était présent, et avait développé un argumentaire destiné à améliorer, si c'était encore possible, les programmes qui seront appliqués en 2016. Les voici.

     

            Les projets de programmes tels qu'ils ont été formulés souffrent, selon le GRIP, de nombreux défauts essentiels : à savoir une hiérarchisation insuffisante des activités, un mauvais timing des apprentissages et une augmentation des contraintes dans le choix des méthodes. Ces problèmes sont présents dans les trois cycles et dans les quatre domaines d'apprentissages que sont l'oral, l'écrit, la lecture et l'étude de la langue.

     

    I – Un apprentissage de la lecture étalé à l'excès

            1) Les activités de phonologie sont prolongées jusqu’en CP. Michel Delord et André Ouzoulias ont pourtant montré l'importance de l'écriture et de la lecture pour améliorer la conscience phonologique. La phonologie sans lien avec le code alphabétique a un intérêt limité en maternelle. On l'importe pourtant au Cycle 2, au lieu de commencer l'apprentissage du code en GS.

            2) On prolonge l'apprentissage du code au CE2, « tant que l'élève en a besoin », au lieu d'insister sur l'indispensable rapidité de cet apprentissage, qui doit se faire intégralement au CP. Il ne doit se prolonger qu'à travers l'apprentissage de l'orthographe en CE1 : les difficultés orthographiques de lecture ou d'écriture permettent de s'entraîner à déchiffrer et de lever les obstacles qui entravent la fluidité de la lecture. Pourtant, on en a justement repoussé l'enseignement systématique à plus tard.

            3) Les programmes insistent sur la nécessité de travailler la compréhension à part. Nous mettons en garde contre le danger qu'il y aurait à séparer le travail du code et le travail du sens. Les deux doivent ne former qu'un dès le départ de l'apprentissage de la lecture. Sinon, on ne fait que juxtaposer un laborieux B-A-BA, comme on en faisait au XIXe siècle, et une hasardeuse enquête sur le sens à partir de textes trop compliqués.

            Si l'on parle du travail de compréhension des inférences, nous affirmons que le faire à part est une erreur. Les méthodes existantes sont des méthodes de rééducation pour enfants qui ont mal démarré l'apprentissage de la lecture, en séparant justement utilisation du code et compréhension du sens. Elles sont inutiles ou presque, à condition que l'élève apprenne vite à lire, et donc lise plus et plus tôt, qu'il fasse dès le départ le lien entre les mots et les choses, et qu'il dispose de connaissances riches et variées sur le monde. Le travail de la compréhension doit être le pain quotidien des petits de Cycle 2, en français et dans les autres matières, et non prendre la place des autres apprentissages. Plus généralement, l'utilisation répandue de textes « résistants » est moins instructive que la fréquentation régulière de textes simples et adaptés, littéraires et non littéraires, ne cherchant pas à piéger les élèves.

     Il faut donc accélérer ces apprentissages, lier de manière organique code, compréhension et orthographe, pour donner le plus rapidement possible les moyens de « lire pour apprendre ». Nous voyons une corrélation entre cet étalement et l'appauvrissement en connaissances des programmes des autres matières : on ne donne pas plus de temps pour apprendre à lire, on vole du temps utile pour apprendre en lisant. L'objectif devrait être le suivant : lire vite pour apprendre plus.  

     

    II – L’étude de la langue mise à mal

                1) Il n’y a pas lieu de supprimer les leçons spécifiques de grammaire. Le décloisonnement ne doit pas servir d’argument pour noyer dans un magma indifférencié les moments d’étude réflexive de la langue. Qui dit enseignement spécifique ne veut pas forcément dire enseignement cloisonné. Formons les professeurs à faire des liens entre expression, réflexion et étude de la langue, plutôt que de prétendre que tout est dans tout.

                Nous réclamons donc la possibilité de faire des leçons de grammaire selon une progression spécifique, à tous les niveaux. Nous rejetons l’argument consistant à caricaturer cette démarche comme dogmatique et mécanique. Si l’enseignement de la grammaire l’est actuellement, cela n’est pas à cause du format « leçon ».

                Contrairement aux caricatures, une leçon de grammaire peut être inductive, et donc partir de la langue. Elle peut donner lieu à des exercices d’écriture, susceptibles d’être remobilisés dans des activités plus globales. Elle n’est pas forcément dogmatique et peut être descriptive : pas de règles à appliquer sans comprendre, mais des observations guidées pour, in fine, mieux « sentir » la langue qu’on lit, qu’on écrit et qu’on parle. Surtout, si elle est bien menée, selon une progression cohérente, elle prend peu de temps aux autres apprentissages.

                A contrario, les préconisations en matière d’étude de la langue pèchent par un usage excessif des manipulations et des classements. Le guidage et la rigueur conceptuelle y sont insuffisants. Les acquis seront faibles, peu opératoires et mis en place trop lentement. C’est autant de temps pris sur le reste.

                2) La grammaire qu'on demande d'enseigner est en fait « in-enseignable ». Nous rejetons les critères de distribution, qui sont actuellement l’alpha et l’oméga du discours sur la langue, mais excèdent les capacités des élèves et évacuent la dimension sémantique de la grammaire. La grammaire structurale ne présente d’intérêt ni pour lire ni pour écrire. Elle ne structure pas l’expression, car elle ne rend pas sensible la logique des énoncés. Elle ne permet pas de rendre les élèves attentifs au choix et à l’ordre des mots, en lien avec le sens précis des propositions.

            3) La distinction entre une grammaire orthographique, aux Cycles 2 et 3, et une grammaire réflexive, au Cycle 4, n’est pas satisfaisante. Les catégories choisies pour les premiers cycles sont trop vagues : les notions de déterminant, de complément et d’adjectif ne peuvent être enseignées efficacement que si on entre dans les détails. Ce sont eux qui permettent justement de dépasser le stade de « l'étiquetage », en montrant le sens logique et sémantique de ces catégories.

          Surtout, la grammaire réflexive doit permettre de passer au stade supérieur en syntaxe. Elle fournit le vocabulaire et les catégories nécessaires pour comprendre des phrases complexes et pour affiner son style. Parler d’adjectif démonstratif en CE2 permet de se rendre compte de son utilité pour écrire, de conseiller ou de déconseiller son usage. Si on n’en parle pas, on l’utilise moins et mal. La grammaire réflexive est aussi indispensable à l'analyse logique, elle-même indispensable à la lecture fluide et à la compréhension des phrases complexes. 

    Nous demandons a minima la possibilité d’enseigner une grammaire sémantique et syntaxique, s'appuyant sur la double analyse « grammaticale » et « logique », et non une grammaire structurale, et cela sous forme de leçons de grammaire, selon une progression méthodique. L’instauration d’un « kit de survie grammatical » pour les cycles 2 et 3 prive les élèves des outils conceptuels qui facilitent l’enseignement et la compréhension de l’écriture et de la lecture : nous voulons une grammaire vraiment utile.

     

    III – Expression écrite : des consignes confuses et non hiérarchisées.

            L’accent mis sur l’expression écrite est bienvenu, ainsi que l’ambition de faire de l’écriture un outil d’apprentissage et de construction des savoirs. En revanche, le cadrage de cette nouvelle ambition est contestable.

                1) Le nombre de types d’écrit mentionnés dans les programmes est trop nombreux. L'insistance sur la diversité des écrits est néfaste puisqu'elle empêche de percevoir des priorités. Il faudrait par exemple se concentrer, jusqu’en Cycle 3, sur raconter, décrire et expliquer ; et y ajouter en Cycle 4 : paraphraser, résumer, citer, justifier. Sans une hiérarchisation des priorités de ce type, le programme est un fatras de méthodes conseillées, dont on ne voit pas la cohérence. Inspirons-nous plutôt du travail de formalisation accompli par nos collègues d'histoire.

            2) Les activités proposées en Cycles 2 et 3 sont trop ambitieuses. Résumer un propos, faire la synthèse écrite d’une discussion, planifier par écrit un récit, etc. sont des activités à introduire à ce moment-là, mais ne peuvent pas être mis sur le même plan que le récit, qui doit être le gros morceau de l’école primaire, ou la description, indispensable aux autres matières. Résumer, paraphraser, justifier un propos de manière autonome, argumenter à l’écrit, citer les propos d'autrui, sont des activités dont on ne peut envisager d'entreprendre trop tôt l’enseignement méthodique, sous peine d'éparpillement et d'inefficacité.

                L'usage de l'écriture pour structurer la pensée est indéniable. Mais il doit devenir majoritaire seulement au Cycle 4. Auparavant, et surtout en Cycle 2, l'expression écrite doit être secondaire par rapport à l'expression orale, au chant, aux travaux manuels et plus particulièrement au dessin, moyen d'expression privilégié des plus petits. L'écrit accompagne ces activités et ne s'y substitue pas.

                L'accent doit être mis sur la production finale, dans l'esprit des écrits soignés des écoles Freinet. Les écrits intermédiaires et les écrits de travail doivent être introduits prudemment au Cycle 3, une fois acquise une écriture autonome, soignée et correcte. Ils ne doivent pas prendre le pas sur l'écriture quotidienne de textes simples et courts d'un seul jet.

                3) Quant aux rédactions, elles sont liées trop tôt et trop étroitement aux textes lus et étudiés. Ce lien favorise des sujets à contraintes qui excèdent les capacités des plus jeunes et ne peuvent se faire sans étayage. Le texte libre, ou à contraintes minimales, pratiqué régulièrement, doit retrouver une place importante jusqu'au Cycle 3 au moins. C'est là un outil central dans  l'acquisition d'une écriture autonome.

                4) On s'étonne d'ailleurs de la brièveté des textes attendus en fin de Cycle 3 : une ou deux pages petit format sont bien insuffisantes en fin de CM2, a fortiori en 6e. Il faut commencer doucement en Cycle 2, ne pas multiplier les écrits peu cadrés orthographiquement et syntaxiquement, comme les « écrits de travail ». Une fois ces bases posées, la longueur des textes peu croître rapidement en Cycle 3. 

    L'accent mis sur l'écriture est souhaitable. Mais il faut hiérarchiser les attendus des cycles sans en demander trop aux élèves de primaire, en termes de diversité et de complexité. En revanche, il est possible d'aller plus loin dans la quantité de texte produit et dans les qualités de précision et d'expressivité. Les écrits intermédiaires sont souhaitables mais doivent être installés beaucoup plus progressivement, à condition que des habitudes de soin et de correction orthographiques soient acquises au Cycle 2.

     

    IV – Expression orale : un enseignement surévalué et mal cadré.

                1) L'apprentissage de l'expression orale prend beaucoup trop de place, surtout dans le Cycle 3. Il se fera au détriment de l'écriture, qui est pourtant l'apprentissage le plus structurant à cet âge, comme l'a montré Lev Vygotski. C'est par l'écriture que le langage oral acquiert une dimension réflexive, et donc qu'il s'enrichit et se complexifie. Sans elle, pas d'expression orale un tant soit peu savante. Le travail de l'oral peut délier quelques langues, donner un peu d'assurance. Mais ce sont surtout le travail à l'écrit, la lecture de textes bien écrits et l'acquisition de connaissances nombreuses qui permettent d'enrichir cette expression orale, sans oublier ces lieux essentiels de l'articulation entre l'orale et l'écrit que sont la récitation et la lecture expressive.

               En résumé, on apprend à bien parler en apprenant à écrire, on n'apprend pas à bien écrire en apprenant à parler. Mettre sur le même plan oral et écrit revient à ignorer une hiérarchie cognitive fondamentale.

                Ainsi, contrairement à ce que laisse entendre l'imposante colonne centrale des programmes, il y a peu de connaissances spécifiques à mettre en œuvre à l'oral, si ce n'est celles qui concernent l'écriture. À l'école primaire, il ne faut pas faire de séances spécifiques d'acquisitions de connaissances sur l'expression orale, si l'on ne veut pas faire des élèves autant de petits « monsieur Jourdain ».

                2) Quant aux attitudes qu'il faut avoir pour s'exprimer à l'oral, elles peuvent être acquises intuitivement. Nul besoin d'apprentissage spécifique et explicite. La conduite ordinaire de la vie de classe et les cours menés dans les autres disciplines (conversation sur la leçon, courts exposés, réponses aux questions, petits débats de gestion de classe, émission d'un avis...) offrent déjà beaucoup de matière. Les « héritiers » qui connaissent les codes de l'oral ont-ils eu à la maison des cours d'expression orale ? Non. En revanche, leurs prises de parole sont encadrées, corrigées et accompagnées, l'écrit et le savoir valorisés. Surtout, on leur lit des histoires bien écrites au vocabulaire riche dès qu'ils ont l'âge d'écouter une histoire. Une réaction doit avoir lieu contre les albums simplifiées à l'excès, à la syntaxe orale, voire fautive.

                Il n'y a donc pas lieu d'insister autant sur des exercices spécifiques : le risque est de voir fleurir des séances d'oralisation détachées, au contenu indigent. Les débats à propos de ce qu'on pense ne doivent pas remplacer les conversations à propos de ce que l'on apprend. L'expression orale travaillée pour elle-même court le risque d'être standardisée. L'adaptation aux différentes situations de prise de parole est behaviouriste. Paradoxalement, c'est la spontanéité et la vie qu'il faut défendre contre une scolastique de la prise de parole.

                3) La difficulté de ces exercices est en outre mal dosée. Il est de bonne pratique de parler avant d'écrire et de parler de ce qu'on l'a écrit. Mais écrire avant de parler n'est vraiment utile que quand l'écrit est déjà bien automatisé, en fin de Cycle 3 et en Cycle 4. Sinon, on met la charrue avant les bœufs.

                4) Surtout, il y a un risque de voir l'oral servir de substitut à l'écrit chez les élèves dits « en difficulté ». On voudra les « mettre en situation de réussite », au lieu de se donner les moyens de développer leurs capacités d'écriture. Tous ont le droit d'apprendre à rédiger, et donc à savoir parler. Un enseignement à deux vitesses est à prévoir. 

    L'expression orale doit être travaillée à l'école, c'est une évidence. Mais l'organisation de ce travail ne doit pas être trop contraignante, sous peine de prendre la place d'autres apprentissages indispensables à l'expression orale. Nous mettons en garde contre le forçage qui pourra découler de ces nouvelles instructions.

     

    V – Une culture littéraire peu et mal enseignée

                Les programmes ont visiblement l'intention d'insister sur la dimension éducative de la lecture et de la littérature. Malheureusement, elle le fait de manière trop contraignante et par des moyens  contestables.

                1) Les questionnements proposés en Cycle 4 sont arbitraires. Leur teneur psychologique fait s'interroger sur leurs justifications épistémologiques. Ils sont aussi formulés de manière peu rigoureuse. Surtout, leur répartition par niveau contraint fortement le choix des œuvres et des thèmes abordés en classe. On ne saurait imposer dans un programme d'étudier l'amour comme thème central en 4e, et pas avant ni après. Un inspecteur osera-t-il reprocher à un enseignant de ne pas avoir traité du  « groupe » en 5e. Qu'est-ce qui justifie d'imposer ce thème entre 11 et 12 ans ?

                Ces thèmes risquent de provoquer l'effet inverse de ce qui est recherché : un rattachement coûte que coûte au thème au programme, les romans de chevalerie vus sous l'angle de l'aventure, et non de l'amour, par exemple. C'est donc le retour du texte-prétexte. Les professeurs sont les plus à même de juger des aspects thématiques qu'il faut aborder, en fonction des classes, des niveaux, mais aussi de leur personnalité.

                Il vaudrait mieux faire insérer, à titre purement indicatif, une liste de thèmes à traiter pour tout le cycle. Cela inciterait les professeurs à creuser le contenu des œuvres, et pas seulement leur forme.

                2) Le souhait apparent de dépasser une étude techniciste de la littérature se traduit assez peu dans les faits. On retrouve des listes de notions théoriques qui seront, n'en doutons pas, étudiées telles quelles dans des cours spécifiques. Une tendance à la taxinomie est encore présente au Cycle 4, mais aussi dans les cycles antérieurs. On insiste beaucoup trop et beaucoup trop tôt sur les différents « genres » écrits et oraux. Des connaissances précises sur les caractéristiques formelles, au sens large, des genres et des « types de textes » doivent être étudiées plus tard.

              Au contraire, il faudrait insister dès le début sur le contenu des œuvres : personnages, histoires, décors, etc. Ce sont eux qui peuvent susciter l'intérêt des élèves et surtout créer une culture littéraire solide. Un élève doit sortir de primaire avec en tête des noms comme Gargantua, Renart, Roland. Il doit se repérer non pas dans la nomenclature des genres, mais dans les différents « univers de fiction » théorisés par Thomas Pavel.

                 3) Cela ne peut se faire sans une fréquentation précoce et régulière de textes classiques. Il est possible de mettre à la portée des plus jeunes élèves tout un patrimoine littéraire qu'on leur refuse dans ces programmes. Il est tout à fait normal de donner de la place aux écrits pour la jeunesse et à la littérature contemporaine. Mais le dosage doit être laissé à l'appréciation du professeur, à condition qu'une proportion importante des lectures provienne des classiques.

                Répétons-le : les classiques ont des choses à dire aux jeunes élèves. Si on les fait lire tels quels, le professeur est là pour les faire passer aux élèves. Sinon, il ne faut pas hésiter à les adapter et à n'en donner que les morceaux qui peuvent intéresser de jeunes esprits. Au lieu de persister à conseiller des lectures intégrales et des albums, il faut recommander une palette plus large de supports de lecture : morceaux choisis courts, morceaux choisis longs (support oublié s'il en est), œuvre adaptées, œuvres abrégées, livres entiers.

              Les recommandations visant à introduire les classiques à partir d’œuvres ou de phénomènes culturels contemporains n'a pas lieu d'être. Le professeur doit rester seul juge de l'ordre dans lequel il traite la matière qu'il enseigne, de la place à accorder aux liens existant entre les époques.

                4) La séquence obligatoire est une atteinte inacceptable contre la liberté pédagogique. Les autres formes d'enseignements, improprement appelés « cloisonnés », sont victimes de préjugés infondés. Nous affirmons que des cours séparés de lecture, d'écriture et d'étude de la langue ne sont pas cloisonnés et que les points de rencontre entre eux sont multiples.

                5) L'histoire littéraire est la grande absente du projet. Une entrée intéressante sur l'histoire de l'écriture aura des retombées anecdotiques. Il faudrait envisager une histoire culturelle de l'écriture et de la lecture, à placer dans la partie lecture. L'histoire littéraire, par son caractère concret, est la base sur laquelle les élèves peuvent fixer toute les autres connaissances : histoires, personnages, thèmes, styles, etc. Sans elle, la mémorisation est difficile.

             C'est pourquoi la chronologie est indispensable. Un programme totalement chronologique n'aurait pas de sens. En revanche, il faut y intégrer une part de chronologie. On peut imaginer un certain nombre d’œuvre ou d'époques à traiter par niveau. Commencer par l'Antiquité est le meilleur moyen de poser les bases d'un enseignement intuitif de l'intertextualité. Mais nous recommandons de laisser une marge de manœuvre importante pour pouvoir, chaque année parcourir à nouveau les différents moments de cette histoire. Le professeur doit pouvoir faire lire des contes, des romans de chevalerie et des mythes, intégralement ou par extrait, en lien avec les œuvres et les textes étudiées en classe.

                Une telle progression, chronologique et intertextuelle, est à l'opposé du projet, qui laisse aux professeurs la tâche impossible de trouver des prétextes suffisants pour faire lire des classiques autrement qu'en extraits courts, au milieu d'un groupement de textes purement illustratifs. 

    Le rôle éducatif de la lecture doit être réaffirmé, mais ne doit pas dériver en contraintes pour le professeur. Le technicisme n'est pas éradiqué de ces programmes, loin s'en faut. Les classiques, l'histoire littéraire et une part de chronologie ne sont pas contradictoires avec cette ambition éducative, au contraire.

     

    ***

     

                Tout n'est pas à jeter dans ces nouveaux programmes. Mais ce qui va dans le bon sens (rôle pédagogique de l'écrit, rejet du technicisme, objectif éducatif de la lecture) est mis en œuvre de manière excessive et mal hiérarchisée. Parallèlement, ils reconduisent des contenus et des méthodes nocives : le travail du sens « à part », l'étalement de l'apprentissage de la lecture, les critères de distribution. En outre, tout en refusant un cadrage nécessaire des contenus par année, ils apportent leur lot de nouvelles contraintes : œuvres à traiter en fonction des questionnements officiels, disparition des leçons et progressions de grammaire, travail en séquence obligatoire.

             Il faut affirmer le pouvoir libérateur de programmes de connaissances et de savoir-faire qui laissent les enseignants choisir les méthodes à employer. En voulant introduire dans les programmes les résultats d'une certaine recherche en didactique et sciences de l'éducation, on ferme les portes des possibles pédagogiques. En outre, au lieu de convaincre les professionnels en charge de les appliquer, on leur impose des manières de travailler. Les programmes ne sont pas un lieu pour imposer des méthodes ; c'est le rôle de la formation et de la diffusion des théories et des pratiques pédagogiques. Encore faudrait-il que celles-ci soient pluralistes et laissent la parole aux divers mouvements pédagogiques.

                Ces programmes par cycle donnent donc d'une main la liberté pédagogique qu'ils reprennent de l'autre. Jean-Michel Zakhartchouk affirmait dans un billet visant à « saluer les projets de programmes d'école et collège » :

    Il est assez incroyable que les mêmes qui réclamaient de la liberté pédagogique protestent quand on la leur donne. En fait, ceux-là voulaient des programmes faussement contraignants, sous forme de listings de connaissances, dont ils faisaient ce qu’ils voulaient en fin de compte.

              C'est justement cette liberté-là que nous réclamons : celle d'enseigner librement un contenu riche, cohérent et progressif avec les méthodes que nous jugeons bon d'employer.

    Pierre Jacolino, professeur de français, pour le GRIP

     

                


  • Commentaires

    1
    Vendredi 9 Octobre 2015 à 16:09

    smile

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