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L'analyse grammaticale, exercice des ânes ?
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L'exercice traditionnel de "l'analyse grammaticale" est peu pratiqué en classe de français. On constate çà et là quelques résurgences, mais la majorité des élèves français n'a pas l'habitude de déterminer la nature et la fonction de chacun des mots d'une proposition.
Je ne reviendrai pas ici sur l'intérêt de cet exercice pour la consolidation des connaissances grammaticales, pour la perception de leur utilité descriptive, ni pour l'éducation du raisonnement.
Je voudrais simplement répondre à la critique majeure qui a conduit à l'abandon de cet exercice.
I – Histoire d'un abandon
Pour aller vite, cet abandon s'est fait en deux temps :
1) Dans les années 70, ce que certains appellent la "troisième grammaire scolaire", c'est-à-dire la bonne vieille grammaire traditionnelle de l'Instruction publique, a été supplantée par la "quatrième grammaire scolaire", à savoir une grammaire issue de la grammaire structurale des années 50-60.1
La notion de "groupe de mots" (groupes nominal, verbal, puis prépositionnel) et l'analyse fonctionnelle (sujet, complément, attribut) ont mis l'analyse mot-à-mot au second plan. Concrètement, on ne demande plus de s'appesantir sur chaque mot, mais de saisir dans sa globalité les éléments logiques qui composent la proposition. L'analyse des articles et des adjectifs déterminatifs (devenus des "déterminants") est laissée de côté. Ces analyses moins minutieuses aboutissaient, dans les premiers temps de l'introduction de la grammaire structurale, à la confection de schémas arborescents du plus bel effet.
L'abandon de l'analyse grammaticale se justifiait en effet par une vision "modulaire" de la syntaxe. Chaque proposition était une structure où s'emboîtaient des groupes de mots inclus les uns dans les autres, étagés sur plusieurs niveaux. La linéarité de la proposition fut donc écartée au profit d'une perception en quelque sorte simultanée de toutes ses composantes, hiérarchisées selon un mode de représentation spatial, et non plus temporel.
2) Mais ce qu'on sait moins, c'est que cette révolution terminologique et méthodique fut précédée, et certainement préparée, par des critiques formulées au cœur même de la période où l'exercice de l'analyse grammaticale régnait en maître.
Dès la fin du XIXe siècle, les linguistes et grammairiens ont voulu combiner l'analyse "logique" de la phrase et de la proposition et l'analyse "grammaticale" (ou "catégorielle") des mots qui les composent.
L'analyse logique, qu'on connaît encore aujourd'hui à l'échelle de la phrase, était valable aussi pour la proposition. On cherchait directement les grands éléments logiques de la proposition (sujet, attribut, complément). Plusieurs grilles d'analyse se sont concurrencées, mais leur point commun était de ne pas partir du mot, mais de prendre la proposition de manière globale, pour l'analyser syntaxiquement selon son sens. On "descendait" donc du plan de la proposition au plan des "acteurs" sémantiques de cette proposition.
Quant à l'analyse grammaticale, elle se contentait de déterminer la nature des mots, de manière un peu myope. Cette analyse des mots était le préalable à une synthèse "ascendante" de la proposition à partir des mots qui la composent .
L'introduction de la notion de "groupe", qui précède donc de plusieurs décennies la grammaire structurale, fut une des manières de faire descendre encore plus profondément cette démarche analytique descendante, puisque le "groupe" sujet, le groupe "complément "ou "attribut" étaient eux-mêmes composés de groupes.
II – Un exercice critiqué très tôt pour son caractère mécanique
Bref, on constate, de part et d'autre de la rupture fondamentale que fut l'apparition de la grammaire structurale, une volonté commune de rendre l'étude des propositions "logique "(id est sémantique), analytique et descendante.
Le corollaire de cette proposition pédagogique fut la critique de l'artificialité de l'analyse grammaticale traditionnelle. En effet, on n'a cessé de remarquer le caractère mécanique de l'analyse mot-à-mot, ainsi que son caractère peu intuitif.
En 1951, une publication du CNDP intitulée La Grammaire à l’école primaire 2 infléchit le discours sur l’analyse grammaticale :
Quel but, en définitive, doit-on chercher à atteindre par l'enseignement grammatical, sinon, pour bien saisir les idées et les rapports des idées, celui d'amener progressivement les élèves à l'analyse de la proposition et de la phrase ?... Entendons-nous bien. Quand nous parlons d'analyse, nous n'envisageons pas seulement l'exercice, indispensable comme moyen d'acquisition et de contrôle, mais sans grande valeur de culture, qui consiste, par un déclenchement quasi-automatique, à faire débiter ou transcrire, en face de chaque mot isolé, la liste des termes grammaticaux qui en marquent la nature, le nombre, le genre, la fonction. Ce que nous recherchons, c'est, dans la proposition, la reconnaissance, autour des mots clefs (verbe, sujet, compléments), des groupes de mots qui grammaticalement et sémantiquement en sont inséparables, et, dans la phrase, la découverte du rapport des propositions entre elles.
L'élève qui concentre son attention sur chaque mot, qui plus est dans l'ordre dans lequel ils ont été prononcé, ne pouvait que passer à côté du sens global de la proposition, de sa "structure" profonde. Il ne serait demandé, dans cet exercice, que d'appliquer des définitions apprises par cœur. Le raisonnement ne serait pas sollicité, et la grammaire achèverait ainsi de s'éloigner de l'éducation de l'expression orale ou écrite.
III – Un exercice impossible à réussir mécaniquement
Cette critique me paraît injustifiée. En effet, je pense impossible de parvenir à analyser les mots d'une proposition, en donnant leur nature et leur fonction, de manière purement mécanique.
Qu'il y ait des leçons à apprendre et à appliquer, c'est certain. Et pourquoi non ? La grammaire n'est pas une science purement intuitive, dont le rythme d'acquisition se calquerait sur le rythme de développement de l'enfant et de ses capacités langagières. On n'apprend pas à analyser la langue comme on apprend à parler.
Mais il n'est pas non plus possible de le faire sans passer par une compréhension globale de la proposition à analyser et de son sens.
En effet, comment dire d'un nom qu'il a pour fonction d'être sujet d'un verbe, si l'on n'est pas allé vérifier ailleurs dans la proposition la présence d'un verbe conjugué, la personne à laquelle il a été conjugué, mais aussi sa signification. Dans "Le petit chat est mort", on ne peut dire que le nom "chat" est sujet du verbe "être" que si l'on a repéré ce verbe dans la suite de la proposition. Il n'est donc pas possible de ne pas prendre en compte la globalité de la proposition, sa syntaxe, les marques flexionnelles des mots variables, son sens, si l'on veut déterminer la fonction du moindre mot.
On a beaucoup reproché à l'analyse grammaticale de sacrifier le sens des propositions à cause de sa démarche ascendante. Or, pour pouvoir la faire, il faut sans cesse alterner une analyse descendante, qui décèle intuitivement les termes logiques de la proposition, et une séquence tâtonnante d'essais de synthèse, consistant à prendre le mot étudié et à l'associer à d'autres mots.
Il est en effet nécessaire de "rapporter" chaque mot à un autre mot. Pour ce faire, il suffit souvent de le rapprocher successivement, lui et les quelques mots qui s'y rapportent déjà, des autres mots de la proposition.
Prenons l'exemple qui a donné lieu à la belle arborescence citée ci-dessus :
La troupe de danse réserve le gymnase tous les midis.
- La se rapporte évidemment à troupe. On parle bien de la troupe.
- Troupe ne se rapporte pas à danse. On ne parle pas de de danse la troupe. Certes, danse et troupe sont en rapport, mais pas dans cet ordre-là. En revanche, la troupe réserve signifie bien quelque chose, et quelque chose qui correspond au sens de la proposition.
- De se rapporte à danse (la troupe de danse)
- Danse se rapporte à troupe et nom à réserve. La danse ne réserve rien, mais il s'agit bien d'une troupe de danse.
- Etc.
Ainsi, ces expérimentations tâtonnantes permettent de voir se former dans chaque proposition des couples de mots dont l'un "se rapporte" à l'autre. Et le sens global de la proposition est à chaque fois le critère auquel on fait appel pour déterminer la validité sémantique des associations ainsi obtenues.
Il reste à préciser ces "rapports" en nommant la fonction du mot. Celle-ci n'est donc qu'une précision d'un "fonctionnement" plus indéfini des mots entre eux. Ce faisant, la nature du mot sera trouvée, avant, pendant ou après la découverte de la fonction précise du mot.
Pour ce faire, deux moyens s'offrent à l'élève. Tout d'abord l'application des leçons apprises de manière explicites. Ensuite, la réflexion sur la signification du mot, c'est-à-dire à la fois son sémantisme et sa référence.
- "La" fait partie de la liste des articles définis (le la les) apprise par coeur. Puisqu'il se rapporte à un nom, ce n'est pas un pronom personnel. En outre, il montre que la "troupe" dont on parle est bien définie dans l'esprit du locuteur : on la connaît déjà avant de dire qu'elle a réservé le gymnase.
- "Troupe" désigne quelque chose en le nommant. Quand je dis ce mot, je vois une troupe dans ma tête. C'est donc un nom. (Remarquons que le fait que le mot soit précédé de "la" n'est pas un critère suffisant : si c'était un pronom, le mot qui suivrait ne serait pas un nom, mais plus probablement un verbe, comme dans "la voir").
- "De" est une préposition, puisqu'elle introduit le nom "danse", et que de toute façon, "de" est toujours une préposition.
- Etc.
Pour tout dire, il existe un deuxième type de raisonnement qui permet de réussir une analyse grammaticale. Il s'agit non pas de partir du "rapport" fonctionnels des mots entre eux, donc de voir comment les mots "fonctionnent", mais de reconnaître d'abord la nature du mot, de passer en revue ses différentes fonctions possibles.
Il faut savoir qu'un nom, un pronom, un verbe à l'infinitif sont en règle générale soit sujet d'un verbe, soit complément d'un mot, et de choisir, dans un deuxième temps cette fois, le bon mot auquel il se rapporte.
Cette méthode est complémentaire de la première puisqu'elle permet de restreindre le nombre de fonctions possibles. Un adjectif qualificatif, reconnu comme tel, ne sera qu'épithète, apposé ou attribut. Elle n'est pas, malgré les apparences, purement mécanique, même si elle nécessite de mémoriser les correspondances entre chaque nature et un éventail de fonctions possibles. Le sens global de la proposition reste le critère de décision en dernier ressort.
IV – Les apories d'une analyse purement mécanique
Que donnerait une analyse grammaticale menée de manière mécanique ?
Qu'en serait-il tout d'abord de la reconnaissance de la nature des mots ? On peut imaginer reconnaître un nom, un adjectif, un adverbe, au premier coup d’œil, d'après leur morphologie, leur flexion et, plus hypothétiquement, leur position dans la phrase. Mais l'élève qui agirait ainsi se ferait piéger par la première inversion du sujet venue. Il ne saurait pas quoi faire non plus au moment de choisir si le mot qui suit un article est un nom ou bien un adjectif antéposé. Ne parlons pas des adjectifs substantivés, comme « le jeune » ou « le jaune ».
C'est que pour décider de la nature d'un mot, il faut très souvent se poser deux questions : celle de son "fonctionnement" (le "rapport" avec un autre mot) et celle de sa signification. Le mot "jeune", dans "un jeune homme", se rapporte à un homme ("homme jeune") et non à "le" ("le jeune"). Il désigne une qualité (celle de la jeunesse) et non quelque chose de bien délimité (un jeune).
Qu'en est-il désormais de la détermination de la fonction du mot ? Les critères de reconnaissances non sémantiques du sujet sont douteux : ni l'accord, ni la place dans la proposition ne permettent reconnaître de déterminer ce qui est sujet du verbe. Il suffit qu'il y ait plusieurs noms accordés de la même manière, que le sujet soit séparé du verbe, ou bien placé à la suite, pour que le choix devienne impossible à faire. De même, si le sujet n'est pas un nom, mais un pronom relatif ou interrogatif, ou bien un verbe à l'infinitif ou une proposition, aucun indice ne permet de le rattacher au verbe. Encore une fois, c'est le sens de la proposition qui permet de décider. Il en va de même pour la recherche du complément d'objet du verbe : sans une notion bien enracinée de ce qu'est une action et de son objet, on est contraint de chercher le premier nom qui suit le verbe.
Nous venons donc de montrer qu'il est impossible de faire une analyse grammaticale de manière mécanique. L'analyse catégorielle est toujours aussi une analyse logique. En fait, les critiques de l'analyse grammaticale ont simplement confondu le résultat de l'étude de la proposition, qui consiste effectivement en une succession de remarques ponctuelles mot-à-mot, et le processus qui y a abouti, qui est à la fois logique et syntaxique.
V - Quelle grammaire pour réussir un tel exercice ?On l'a vu, cet exercice suppose une grammaire qui ne soit pas "modulaire", comme la grammaire structurale, mais "relationnelle". Les mots ne sont pas inclus dans des groupes emboîtés les uns dans les autres. Ils gardent leur autonomie et forment à l'intérieur de la proposition une suite de couples en "rapport". La proposition est cette suite linéaire de mots qui établissent les rapports qui les unissent au fur et à mesure de leur propre succession. La cohérence de la proposition est donc assurée sans recourir à une représentation mentale ou graphique spatialisée, de type arborescent.
L'analyse de la phrase ne consiste donc plus à mettre de côté sa temporalité linéaire, mais au contraire à respecter cette linéarité, en ralentissant la vitesse de lecture pour se demander, à chaque étape, comment une succession syntaxique constitue le sens d'un énoncé.
Cette grammaire est donc à la fois, et indissociablement, syntaxique et sémantique. L'élève est convié à lire une phrase simple en pensant de manière réflexive à ce qui se passe dans son esprit au moment où il prononce chaque mot, et au moment où il passe au mot suivant.
***
Réflexive, syntaxique et sémantique, linéaire, la grammaire "traditionnelle" ainsi mise en oeuvre est le contraire d'une science des ânes. L'exercice de l'analyse grammaticale a pu donner lieu à des dérives mécanistes. Mais cela ne tenait pas à la nature de l'exercice lui-même. Fait mécaniquement, il ne pouvait pas être réussi. Les meilleurs élèves de l'école primaire d'avant les années 70 ne pouvaient pratiquer cet exercice que de manière intelligente et vivante.
La connaissance du cours et des leçons permet bien sûr de prendre des raccourcis. L'analyse grammaticale n'était pas décrite dans les termes avec lesquels je viens de la décrire. Ceux-ci tiennent beaucoup de ma propre manière de présenter les choses aux élèves. Très probablement, on n'expliquait pas outre mesure comment raisonner lors d'une analyse grammaticale. Mais on ne pouvait pas en fin de compte réussir cette analyse sans passer peu ou prou, dans cet ordre ou dans un autre, par ces étapes-là.
Il faudrait donc voir avec un autre oeil la "quatrième grammaire scolaire", issue de la linguistique moderne, qui prétendait se rapprocher du véritable fonctionnement de la langue. Elle a fait fonds sur une critique erronée de l'analyse grammaticale. Les pédagogues de l'époque précédente ont été leurrés par des applications apparemment mécaniques de l'exercice, sans s'apercevoir qu'une telle application était tout simplement impossible. Les rénovateurs ultérieurs ont eu beau jeu de pointer cette supposée faiblesse et de proposer une nouvelle manière de voir et de faire, prétendument plus logique et plus intuitive.
1http://correspo.ccdmd.qc.ca/Corr15-4/Grammaire.html
2La Grammaire à l’école primaire, CNDP, 1951 http://michel.delord.free.fr/pedago/grammaire-inrp1951.pdf
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Commentaires
3amvLundi 29 Février 2016 à 01:54Bonjour,
Je viens de lire votre article et je ne peux que constater les dégâts avec l'un de mes enfants ou la maîtresse est passée en grammaire du sujet du verbe au groupe nominal, je ne comprends pas ce choix. Il ne sait pas ce qu'est un nom, un adjectif..... Nous sommes au mois de février 2016.
Je ne vous parle même pas des dictées : c'est une catastrophe. Auparavant, les élèves préparaient les dictées; aujourd'hui, on leur dicte à l'oral; ensuite la maîtresse corrige les fautes et dans la semaine leur fait faire la dictée. Mon fils est au abonné absent. Tout est vu en global même la grammaire.
Il travaille avec Un monde à Lire de Monsieur BENTOLILA. Pas de livre de grammaire.
Que pensez-vous de ce livre ? vous pouvez me répondre en privé.
Bien à vous,
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